Du Mac à l'iPad, l'imagination au pouvoir

 

Editorial du "Monde"

 

06.10.11

 

Des fleurs dans la nuit, des bougies, des larmes aussi. Le tout devant des boutiques ! Vivrait-on dans un monde tellement mercantile que seuls les héros du capitalisme sont capables de susciter une telle émotion à travers le monde ? Non. Steve Jobs, décédé dans la nuit du mercredi 5 octobre, à 56 ans, était bien plus qu'un grand patron.

 

Le cofondateur d'Apple a changé le monde. Davantage que beaucoup de grands chefs d'Etat, son action a transformé la vie de centaines de millions de personnes sur la planète.

 

Sa disparition provoque une frénésie de réactions officielles et anonymes plus spectaculaires encore que s'il s'agissait de celle d'une rock star mondiale. Jusqu'en Chine, près de 35 millions de microblogs à sa mémoire ont été recensés jeudi à la mi-journée sur Sina Weibo, l'équivalent chinois de Twitter. Le génie de cet Américain a été de contrôler la technologie pour la faire entrer dans nos vies. Alors que de nombreux groupes informatiques étaient, depuis l'après- guerre, lancés dans la course à la puissance, à la performance, à la prouesse technique, l'obsession de cet homme de la Silicon Valley a été de créer des produits simples et utiles.

 

La souris n'a pas été inventée par Apple, mais la firme à la pomme a, la première, eu l'idée de lancer un ordinateur - Macintosh en l'occurrence - avec une souris. C'était en 1984.

 

Les baladeurs numériques n'ont pas été inventés par Apple, pas plus que la musique en ligne, mais le lancement en 2001 de l'iPod et du magasin iTunes ont capté les générations que les majors de la musique voyaient échapper.

 

L'Internet mobile, les écrans tactiles ou les services en ligne existaient depuis des années, mais c'est l'entreprise californienne qui, avec l'iPhone, en 2007, l'App Store en 2008, puis l'iPad en 2010, a rendu cet univers accessible à M. Tout-le-Monde.

 

Steve Jobs a créé des ruptures, autant de dates qui resteront dans l'histoire industrielle au même titre que certaines grandes inventions. Un succès d'autant plus emblématique qu'il correspond à la geste de la Silicon Valley. A 21 ans, sans diplôme supérieur en poche, il crée Apple en 1976 avec son ami d'origine polonaise, Steve Wozniak.

 

Tout dans son parcours en fera un patron hors du commun, notamment son retour, en 1997, à la tête de "son" entreprise - dont il avait été évincé douze ans plus tôt par les actionnaires.

 

Avant d'être une star mondialisée, il était un patron mondialisé. Il a utilisé sans limites les atouts de la globalisation. Le sous-traitant taïwanais Foxconn, dont les usines géantes implantées en Chine continentale fabriquent les iPhone et autres iPad, est l'un des instruments de ce succès. Les salariés de Foxconn, et même ceux d'Apple, en savent quelque chose. Les exigences, parfois démentielles, de Jobs n'ont pas été sans provoquer des dégâts sociaux.

 

Il est l'un des inventeurs du monde d'aujourd'hui, célébré comme peu de patrons l'auront jamais été. Chapeau bas.