La route du Tea Party
20.10.10
Sur la route à travers la Virginie, des pancartes assez larges, ici et là, annonçaient
"November is coming" (Novembre arrive). Elles étaient en blanc sur noir, élégantes, mais tout de même, annoncer ainsi l'arrivée par ailleurs prévisible de Novembre, c'était plutôt déroutant. Il me fallut un
moment pour réaliser qu'il
ne s'agissait pas de concerts rock prochainement dans ces cambrousses. "Americans
for Prosperity", la légende devenue
lisible au detour d'un virage
me fit percuter.
Bientôt une autre
moisson de pancartes détonnait : "Hurt U.S. Congress". Pas "Hurt
for U.S. Congress" et encore moins "Hurt
for Congress", qui suggèreraient que l'on se languit
du Congrès. Typiquement l'on écrit "Machin For Congress", l'absence
de "for" ici, induit
l'idée de faire mal (hurt) au Congrès.
Il existe véritablement un
Robert Hurt, le bien nommé,
qui se présente aux élections
du Congrès dans un district
du sud de la Virginie. Lorsque les
multitudes veulent faire expier
le Congrès pour ses pêchés soit-disant ruineux, cet animal fait un usage
brillant de son patronyme.
Ces gens, du Tea Party, en veulent
à la terre entière. Principalement à Obama, mais aussi aux politiques en général et au Congrès entre autres, puisque c'est pour lui que l'on vote bientôt.
Même les républicains classiques qui ont le tord d'être en place, sont réputés faire partie du problème. La solution : les remplacer.
Dans un tel environnement, Robert Hurt est l'homme de la situation, un don de Dieu
dans une région qui lui est toute dévouée.
Tout de même "Hurt U.S. Congress" c'est puissant, et pour le coup comment s'étonner
que ses panneaux
se retrouvent semble-t-il
au delà de la circonscription
qu'il convoite ?
Le Tea Party c'est le parti du contre. Contre comme "je suis contre tout ce qui prélève des impôts". D'où le nom, acronyme de
"Taxed Enough Already" (Taxé déjà suffisamment) mais qui trouve surtout son origine dans la guerre d'indépendance où à Boston
pendant la "Tea Party", l'on jeta à la mer les Anglais et leur thé avec, ce thé
(tea) que le roi d'Angleterre taxait comme Louis taxait le sel. Le Tea
Party c'est aussi, et sans doutes avant tout, un mouvement libertaire, encore que libertaire pépére ; les libertés certes, mais surtout celles
qui nous conviennent. Dans
le Tea Party on veut protéger
les libertés américaines de
Washington qui semble vouloir
tout réglementer comme dans l'enfer de l'Europe socialiste. Dans le Tea Party on veut qu'on nous foute la paix, qu'on nous laisse vivre comme avant, quand tout allait bien, quand
l'Amérique vivait sous le status quo anglo-saxon, lorsque le Taliban était à la solde de la CIA, et que ni les Chinois ni Al Qaeda ne s'opposaient à l'hégémonie de l'oncle Sam. Dans le Tea Party on est typiquement blanc, et ok financièrement, du coup on panique
un peu lorsque le monde
change comme ces temps-ci. Par contre on ne se préoccupe pas trop du climat, car comment concevoir que l'homme puisse
avoir en son pouvoir de défaire ce que
Dieu a créé.
Sorte de bouquet final, je tombais
sur l'une de ses pancartes prophétisant
l'arrivée du mois de novembre, au pied de trois croix érigées au bout d'un champ,
le long de "Swing Bridge Road" (route du pont
qui balance), ce qui tombait
à pic vu qu'il s'agit en effet de changer le
vote (swing the vote). Les trois croix annonçaient
sans ambigüité que l'on était ici
en terre si ce n'est sainte,
en tous cas évangéliste, cette branche des fous de Jésus à la droite de la chrétienté protestante. Les évangélistes sont 60 millions aux
Etats-Unis, soit un Américain sur cinq,
ce qui est aussi, coïncidence, le nombre d'Américains convaincus que Barack Hussein
Obama est en fait un musulman.
L'histoire ne dit pas combien d'entre eux pensent que
c'est un cousin de Saddam Hussein ?
OBSTRUCTIONNISTES
Le Tea Party ce n'est pas les évangélistes, et vice versa, mais
il y a beaucoup de superposition. Sarah Palin l'a compris dès
le début, jointe maintenant
par Newt Gingrich, l'ancien héros
de la "Révolution de 1994", l'ex- "Speaker of the House", le troisième poste le plus important
de la hiérarchie constitutionnelle,
et aspirant au remplacement d'Obama.
Newt Gingrich et le Tea Party font appel à la hantise qu'ont beaucoup d'Américains pour le gouvernement,
qui serait comme un pêché originel, l'incarnation de l'inéficacité et
de l'entrave à la liberté. D'où la stigmatisation de la politique actuelle pour avoir accentué le déficit et créé une réforme
du système de santé qui mettrait
les Etats-Unis sur le chemin de la même ruine gangrénant déjà l'Europe réputée socialiste, entendez "Bolchévique". Newt se laisse
même aller dans l'islamophobie. Il a évoqué récemment
un danger sous-jacent causé
par certains musulmans qui n'auraient de cesse de conquérir le monde, et l'Amérique
en chemin. Selon lui, d'aucuns s'emploieraient
déjà à insinuer la charia
en lieu de la bonne loi Américaine.
"La peur,
c'est depuis toujours le chantage du pouvoir" déclamait Bernard Lavilliers il y a plus de 25 ans.
McCarthy l'avait sans doutes
compris avant lui, puis Georges Bush et son émule Nicolas Sarkozy, maintenant
Newt Gingrish tente d'en remettre une
couche. Dans
tous les cas, le but n'est que de préserver
l'emprise de l'establishment
sur le monde.
Il est
intéressant qu'il y ait dans le programme
du Tea Party la disparition du Département
fédéral de l'education, cela bien sûr
afin de réduire le déficit. Mais où
était le Tea Party lorsque
Georges Bush faisait déjà exploser
le dit déficit pour
financer ses guerres imbéciles tout en réduisant les impôts, notamment ceux des plus riches ?
N'est-il pas révélateur
que les "tea baggers" (partisans du Tea
Party) veuillent éliminer
le département de l'éducation,
dans un pays où celle-ci est déjà lamentable, mais par contre ne disent rien du "Département de la défense",
qui a lui seul dépense autant que la somme des budgets militaires des treize autres nations les plus militarisées
?
Cela montre bien
que dans leur ensemble, ces obstructionnistes ne sont obsédés par l'explosion du déficit que parce
que c'est un véhicule pratique pour exprimer leur rancœur
face à un président qu'ils soupçonnent d'être coupable des pires pêchés, y compris celui de vouloir supprimer quelques privilèges de l'establishment, de maintenir l'avortement légal ou de restreindre la vente d'armes à feu aux citoyens, qu'ils soient empoisonnés
à la testostérone ou pas.
Jean-Christian Rostagni, photographe