Wall Street à l'heure
de la solidarité internationale
?
02.08.10
Bernard
Pinaud, nouveau délégué général du CCFD-Terre Solidaire
lobal Witness, IATP, Revenue
Watch Institute… ces noms
ne vous disent rien ? Pourtant avec quelques autres, ces associations de solidarité internationale viennent de réussir le tour de force de faire passer, à la faveur de la réforme de Wall
Street, des mesures d'une portée considérable pour les pays
en développement. Douze ans après le traité d'Ottawa interdisant les mines
antipersonnel et celui de Rome instituant
une Cour pénale internationale, la réforme avalisée mercredi 21 juillet par le président des Etats-Unis, Barack
Obama, marque l'aboutissement
d'années de mobilisation,
de construction d'expertise et de pédagogie.
Une vraie victoire pour le plaidoyer porté par la société civile américaine et internationale. Et trois
dispositions majeures pour le développement
politique et économique des
pays du Sud.
Les entreprises
extractives cotées à New York devront
déclarer les versements qu'elles effectuent aux gouvernements de chaque pays dans lesquels elles
opèrent. On parle ici de 90% des compagnies pétrolières et gazières internationales et de 80% des géants
miniers. Après une mesure similaire à la bourse de
Hong-Kong en mai, c'est une nouvelle ère – celle de la transparence – qui s'esquisse
dans le secteur extractif. Une première parade au
paradoxe de la richesse,
qui voit les citoyens du
Nigeria, de Birmanie, de l'Angola,
du Guatemala ou encore du Congo en venir à regretter l'abondance de leurs sous-sols, synonyme pour eux de violence, de corruption, de pillage écologique et de misère. Cette demande de transparence est portée depuis
2002 dans 55 pays par les 600 organisations
de la coalition internationale " Publiez ce que
vous payez ". Elle doit permettre aux trois milliards et demi d'habitants des pays riches en matières
premières de mieux mesurer
et contrôler la part de la rente
qui revient à leur gouvernement.
Les sociétés
qui achètent des minerais provenant de République démocratique du Congo (RDC) devront se déclarer au gendarme
de Wall Street et prendre des mesures
dites de " diligence raisonnable
" pour s'assurer que leur activité ne contribue pas à l'enrichissement
des groupes armés. L'enjeu : cesser d'alimenter la guerre pour le contrôle
de ces minerais qui, depuis quinze ans,
fait chaque jour dans l'Est du pays autant de morts que les attentats
du 11 septembre 2001. Concrètement,
les enseignes qui commercialisent
l'or du Kivu devront, tout comme les industriels qui fabriquent téléphones portables
et ordinateurs avec du coltan
et de la cassitérite de RDC,
garantir la traçabilité de leurs approvisionnements. Là non plus, ce premier pas décisif pour la restauration de
la paix dans les Grands Lacs n'aurait
pas été franchi sans le plaidoyer conjoint des ONG internationales et des acteurs locaux.
La réforme
prévoit enfin d'encadrer le recours aux produits dérivés sur les marchés à terme agricoles. Cette mesure contribuera
à limiter la spéculation sur
les produits agricoles. La stabilisation des prix agricoles est un long combat des ONG. Pour
les pays en développement, où
la crise alimentaire de
2008 a plongé 200 millions de personnes
supplémentaires dans la faim, il en va
à la fois de la capacité
des plus pauvres à se nourrir
dans les villes, et des paysans à vivre de leur travail. Lorsque les traders et autres intermédiaires font tripler en quelques semaines le prix du blé ou du riz,
c'est le consommateur égyptien ou sénégalais
qui souffre. Lorsqu'ils
font chuter le prix du café ou
de l'huile de palme, c'est le producteur colombien ou indonésien
qui est ruiné. Avec des
prix moins aléatoires, les producteurs pourront enfin planifier leurs activités et, incidemment, nourrir la
population.
Bien sûr,
la mobilisation citoyenne serait restée lettre
morte si elle n'avait trouvé
l'oreille de responsables politiques prêts à mener personnellement ces batailles. Des sénateurs américains, démocrates et républicains, ont pris leurs
responsabilités. Avec l'assentiment
de Barak Obama. Il faudra, aussi,
toute la vigilance de la société
civile américaine pour que ces victoires
législatives se traduisent dans les décrets d'application. Mais la leçon est claire
: les propositions émises par la société
civile, quand elles rencontrent des hommes politiques responsables, peuvent changer la
vie de millions de personnes !
En 2011, le président de la République française, hôte du G8 et du G20,
sera sous les feux de la rampe internationale. La société civile française non plus ne manque pas d'idées : constituer des réserves agricoles pour juguler la spéculation sur les prix, obliger les multinationales à publier leurs comptes pays par pays pour éviter qu'elles ne placent artificiellement leurs profits dans les paradis fiscaux, taxer les transactions financières
internationales… Nicolas Sarkozy saura-t-il
s'en inspirer ?
Bernard Pinaud,
nouveau délégué général du CCFD-Terre Solidaire