Libérez Panahi et Polanski !

 

par Franck Nouchi

 

LEMONDE | 13.05.10

 

Sur la scène de l'auditorium Louis-Lumière, un fauteuil est vide. Jafar Panahi n'était pas hier soir, parmi les membres du jury du 63e Festival de Cannes présidé par Tim Burton. Lion d'or à la Mostra de Venise en 2000 pour Le Cercle, Léopard d'or en 1997 à Locarno pour Le Miroir, Ours d'argent à la Berlinale en 2006 pour Hors-jeu, deux fois récompensé à Cannes (Le Ballon blanc, Prix de la Caméra d'or 1995, et L'Or pourpre, Prix du jury - Un certain regard, en 2003), il est détenu, vraisemblablement à la prison d'Evin, à Téhéran, accusé par les autorités iraniennes d'avoir "préparé un film contre le régime portant sur les événements post-électoraux".

 

Tapis rouge, paillettes, flashs des photographes, un zest d'Hollywood, avec Cate Blanchett et Russell Crowe en Robin des bois. Et ce fauteuil resté vide qui disait qu'il serait impossible de savourer pleinement ce festival. D'autant qu'il y avait un autre grand absent : Roman Polanski, en instance d'extradition de la Suisse vers les Etats-Unis et toujours placé en résidence surveillée dans son chalet de Gstaad. Il y a quelques jours, le réalisateur du Pianiste avait publié sur le site de La Règle du jeu un texte intitulé "Je ne peux plus me taire". On y apprenait que, le 26 février dernier, Roger Gunson, le procureur chargé d'instruire l'affaire pour laquelle il avait été condamné il y a trente-trois ans, avait déclaré sous serment que Roman Polanski avait exécuté, au pénitencier de Chino, l'intégralité de la peine décidée par le juge Rittenband en 1977.

 

La veille de l'ouverture du Festival, plusieurs cinéastes, parmi lesquels Jean-Luc Godard, Agnès Varda et Bertrand Tavernier, ont rendu publique une pétition, "Cannes avec Polanski", dans laquelle ils disent notamment ceci : "Conscients de quelques règles de droit élémentaires telle l'impossibilité de juger et de condamner un homme deux fois pour le même délit, conscients de ce que la demande d'extradition formulée par les Etats-Unis est fondée sur un mensonge, (nous en appelons) aux autorités helvétiques en les adjurant de ne pas croire sur parole le gouverneur Schwarzenegger et ses procureurs."

 

En Iran et aux Etats-Unis, pour des raisons certes totalement différentes, le cinéma est ainsi bâillonné. Et surtout que l'on ne vienne pas imputer cette mobilisation au fait que ces deux créateurs seraient des privilégiés, protégés par leur statut de cinéastes reconnus. Bien au contraire, si la liberté de Panahi et de Polanski est aujourd'hui à ce point entravée, c'est parce qu'ils sont victimes de ce qu'ils sont : d'immenses artistes.

 

Franck Nouchi