Diplomatie radioactive
par Caroline Fourest
16.04.10
Il est peu
probable qu'un groupe terroriste puisse un jour mettre au point une arme nucléaire. Moins de le voir s'emparer d'un pays la possédant,
comme le Pakistan. En revanche,
on ne voit pas ce
qui pourrait empêcher l'Iran d'aller au bout de son rêve nucléaire.
Face à cette
hypothèse, crédible, il existe
plusieurs options. La première, de loin la plus confortable, consiste à nier ce risque. Comme beaucoup de commentaires sur Internet : "Encore un moyen
de nous détourner des vrais
problèmes." Bien entendu,
en cas de crise nucléaire, les mêmes s'empresseront d'écrire aux journaux pour se plaindre de ne pas avoir été suffisamment alertés.
A l'autre
bout du spectre, un autre extrême jouit du confort de la logique : les va-t-en-guerre. L'Iran est
présidé par un malade
mystique, qui a déjà parlé de rayer
un autre pays de la carte. Il
faut donc attaquer l'Iran avant de prendre une ogive nucléaire
sur la tête. Les tenants de
cette thèse pensent à Munich. Est-ce la bonne référence ? Nous ne sommes pas devant une guerre conventionnelle, mais devant un dilemme
nucléaire. En l'occurrence,
la référence qui s'impose est plutôt
celle de la guerre froide,
et plus encore celle du sang-froid. En dehors des sanctions, qui n'auront
qu'un effet symbolique, il n'existe que deux
options sur la table : la décroissance nucléaire ou la croissance nucléaire généralisée.
Rêvons un peu.
Imaginons que la première option soit
possible. Que tous
les pays renoncent au nucléaire
militaire. Une agence des Nations unies deviendrait l'unique productrice de nucléaire civil et la redistribuerait à chaque pays en fonction de ses progrès démocratiques.
Plus fou encore. Ariel Sharon sortirait
de son coma avec un message d'entre les morts :
"Israël accepte de renoncer à la bombe si l'Iran y renonce également !" Les deux
régimes sauveraient le monde du gouffre.
L'heure serait à la pacification.
Fin du rêve.
La géopolitique n'a aucune imagination. L'histoire n'est pas un projet
machiavélique qu'un homme ou un pays peut déjouer, mais
un enchaînement logique d'interactions et de conflits d'intérêts. Avec la meilleure
volonté du monde, Barack Obama peut
signer des traités de non-prolifération
avec quelques partenaires
qui y ont intérêt. Il ne peut rien
faire pour forcer les autres. Seul
l'intérêt peut pousser la Chine à mettre de côté ses immenses
besoins en pétrole iranien pour prendre ses responsabilités de puissance diplomatique montante et se joindre au concert des Nations souhaitant
des sanctions. Ce symbole a son importance. Mais après ?
Le problème reste entier. Les
sanctions ne serviront à rien,
si ce
n'est à souder le peuple iranien derrière un régime
dont il ne veut plus. Ce dernier a déjà trouvé un slogan pour apparaître comme le champion de la décroissance
nucléaire, tout en continuant à travailler
d'arrache-pied à son escalade :
"Nucléaire civil pour tout le monde, nucléaire militaire pour personne". La logique est implacable, mais cache bien entendu une faille. Tout le monde
se doute bien que Barack Obama ne va
pas appuyer sur le bouton nucléaire. Personne ne peut faire confiance à Mahmoud Ahmadinejad pour ne jamais
y songer.
Cet homme-là, qui croit être l'élu de Dieu,
a renoncé à toute rationalité. Il ne faut rien en espérer,
si ce n'est
le pire. Mais il n'est
pas seul à gouverner. Ce n'est qu'un
triste jouet entre les
mains d'un Guide suprême et
d'un aréopage de mollahs
plus expérimentés, et surtout
divisés. Il ne s'agit pas de faire confiance à
la "sagesse" de ce
régime tyrannique. Mais de parier
sur son essoufflement.
Dans un monde idéal, le mouvement vert en serait déjà venu à bout et la question ne se poserait
plus. Dans le monde qui est le nôtre, les verrous du régime n'ont toujours pas sauté, mais ils ne tiennent qu'à un ou deux
fils... Des sanctions peuvent
les renouer, là où la concrétisation du risque nucléaire peut au contraire les faire craquer.
C'est un pari
bien risqué. Mais a-t-on d'autre choix que
d'y rêver ?
Caroline Fourest