Le "ni-ni" de Nicolas Sarkozy en Afghanistan

 

par Natalie Nougayrède

 

LE MONDE | 03.12.09 | 13h06    Mis à jour le 03.12.09 | 13h06

 

i retrait ni renforts de soldats français. Telle est la position assumée sans fanfare par Nicolas Sarkozy depuis des mois, malgré les demandes américaines auprès des alliés. En mai, en route pour l'émirat d'Abou Dhabi, il allait inaugurer une base militaire face à l'Iran, M. Sarkozy avait tranché le débat lors d'un conseil restreint de défense, à bord de l'avion présidentiel. On précisait alors de source élyséenne que, s'il pouvait y avoir des ajustements, l'effort sur le terrain resteraiteffectif constant en 2009".

 

L'Afghanistan a fini par placer M. Sarkozy, le premier président de la Ve République à ne jamais avoir fait l'expérience personnelle de la guerre, devant une équation difficile. Alors que M. Obama a exposé, le 1er décembre à West Point, sa stratégie de renforts de troupes, la France apparaît, par son refus d'engager plus de soldats au combat, comme un allié réticent et dubitatif. Même si elle se dit prête à accroître son effort de formation de policiers et de soldats afghans.

 

Ce n'est pas le moindre des paradoxes, venant d'un président français qui a revendiqué l'ancrage dans la "famille occidentale" et opéré le retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN, quittées en 1966 par De Gaulle qui craignait alors d'être entraîné dans le conflit du Vietnam.

 

Le risque d'apparaître à la traîne n'est pas négligeable, dans un contexte même l'Allemagne pourrait décider - après la conférence prévue à Londres, en janvier, sur l'Afghanistan - d'un effort militaire nouveau. Réélue et dotée d'une nouvelle coalition, Angela Merkel peut se permettre ce geste.

 

Le "ni-ni" français est-il tenable quand officiellement Paris applaudit au "surge" américain ? L'affichage atlantiste de M. Sarkozy a ceci de paradoxal que ses gestes les plus spectaculaires en direction des Etats-Unis ont eu lieu à la fin de la période Bush, puis semblent s'être taris après l'arrivée de M. Obama. C'est en 2008 qu'il a accru le contingent français d'environ 700 hommes (sans renvoyer les forces spéciales), a levé les restrictions à l'emploi de la force décidées par Jacques Chirac, et commencé à concentrer la présence militaire française dans des districts pachtounes de l'Est.

 

La mort, en août 2008, de dix soldats en un seul jour dans la vallée d'Ouzbine a été un tournant, l'une des plus graves pertes de l'armée française en opération de combat depuis la guerre d'Algérie. Ordre était aussitôt donné de rendre plus cohérent le dispositif français, et de minimiser les prises de risques.

 

Au fil des mois, la rhétorique du président français sur l'Afghanistan a perdu en intensité. Le thème de la lutte contre la "barbarie" et la "défense des valeurs" a semblé céder du terrain, au profit de la nécessité de stabiliser l'Afghanistan. Sécuriser le pays, parce qu'il est frontalier du Pakistan, Etat nucléaire rongé par l'extrémisme islamiste.

 

Au long de l'année 2009, M. Sarkozy a pris acte, comme d'autres dirigeants européens, de l'"américanisation" définitive de la guerre, en nombre de soldats et en moyens. Les Etats-Unis ont fini par percevoir les alliés comme un appoint, utile politiquement, mais pas un facteur capable de changer la donne face aux talibans. Les Européens avaient beau jeu de nommer une cascade d'émissaires spéciaux sur l'"AfPak", ils ont dans l'ensemble paru passifs.

 

Vu d'Europe, il y avait de bonnes raisons d'être dérouté. L'Elysée a ainsi observé comment le conflit afghan devenait un sujet de discorde ouverte entre officiels américains, tandis que, sur le terrain, la débâcle de l'élection présidentielle afghane ajoutait une crise politique à la crise militaire. Le temps de la réflexion pris par M. Obama a été perçu par M. Sarkozy comme une interminable tergiversation. La guerre n'étant guère porteuse dans les sondages, M. Sarkozy s'est mis en retrait, laissant le terrain afghan à son ministre des affaires étrangères, Bernard Kouchner. Il a aussi reporté à des jours meilleurs un voyage au Pakistan.

 

En 2006, M. Chirac avait refusé que les Français combattent dans les zones rurales pachtounes : il anticipait que le déploiement de l'OTAN dans le Sud mènerait à un syndrome d'"occupation" de terres musulmanes par des Occidentaux. En 2007, durant la campagne électorale, M. Sarkozy déclarait que "la présence à long terme des troupes françaises" ne lui paraissait "pas décisive". Serait-il aujourd'hui revenu à cette appréciation ? La tâche des troupes françaises est de "stabiliser en deux ans" les deux districts elles opèrent, a dit le chef de l'Etat, en août, devant des ambassadeurs. Deux ans : un délai qui correspond à celui de M. Obama pour engager le mouvement de retrait.

 

En 2008 l'augmentation du contingent français avait été appréciée par M. Bush, qui pouvait donc basculer mille soldats américains vers le Sud en renfort pour les Canadiens, qui menaçaient de partir. Sur fond de "retrouvailles" franco-américaines, Paris considérait avoir sauvé l'unité de la coalition, selon le principe "on entre ensemble et on en sort ensemble". M. Sarkozy guette maintenant le moment d'en sortir. A moindre frais.

 

Courriel : nougayrede@lemonde.fr.