Tour du monde de l'humour
en soixante-dix pays
par Macha Séry
09.08.09
C'est un beau supplément,
un tour du monde de l'humour, qu'a
sorti le 1er août Courrier international. L'occasion
de constater une nouvelle fois que, de l'Inde
à l'Argentine, le rire est chose universellement
partagée. Il n'est pas sûr toutefois
que ce qui amuse ici soit considéré
avec autant de jovialité ailleurs. Y a-t-il des humours nationaux ? Quels sont
les fondamentaux du comique,
au-delà des connivences et références communes propres à un pays ? A cette question récurrente à l'égal du mystère de la naissance des blagues
et de leur circulation, Marcel Pagnol
répondait, dans Notes sur le rire : les fonctions naturelles du corps, locomotion, respiration, digestion, toutes les perturbations du corps. Après quoi il faisait
figurer les différences sociales
et culturelles, vivier commun à nombre de contrées.
Tous les pays ou presque se sont fait une spécialité de dauber sur leurs dirigeants
et leurs voisins,
territoires ou populations.
Irlande-Royaume-Uni, Espagne
contre Portugal, Suède
versus Finlande, Roumanie et Bulgarie... Sans oublier les petites vacheries intercommunautaires entre Flamands
et Wallons, par exemple, et
joutes verbales entre
couples d'ethnies en Afrique
de l'Ouest à condition de respecter la signification inhérente à cette forme relationnelle. "Que les non-initiés se méfient :
la parenté à plaisanterie est strictement codifiée, prévient Ernest Diasso dans Le Journal du jeudi, quotidien du Burkina Faso.
Ne taquinez que
celui que la tradition a désigné comme votre
rakiré. Si un Peul insultait inopinément un Samo, l'injure pourrait être prise au premier degré."
Le 27 janvier,
au très parisien café de
Flore, s'est tenu un café géo sur le thème : "L'humour a-t-il une géographie ?" Y ont pris part des universitaires appartenant à l'Association pour le développement des recherches sur le comique, le rire et l'humour (Corhum). Il appert
que les Anglais sont enclins à la litote, les Américains à l'exagération, qu'en Suède marche l'ironie
luthérienne bâtie sur la loi de Jante,
code de conduite et de politesse poussée
à l'extrême. Certes, Voltaire a introduit
Shakespeare et le mot humour
en France, mais il s'est attristé toutefois du "manque d'à-propos des plaisanteries des fossoyeurs en pleine tragédie d'Hamlet, pour mieux souligner le génie classique français et sa bienséance". Critique qui paraît désuète aujourd'hui. Avec la mondialisation,
la circulation des films, des livres et des vidéos, les spécificités d'appréciation de l'humour d'autrui ont tendance à s'estomper.
En septembre
2001, le psychologue Richard Wiseman et l'Association britannique pour l'avancée de la
science ont engagé une étude sur
Internet. Le but : établir si hommes et femmes partagent le même sens de l'humour, si celui-ci varie
en fonction de l'âge, et...
établir la blague la plus drôle au monde. D'après l'enquête, portant sur 100 000 personnes originaires de 70 pays, la voici : "Deux chasseurs sont dans un bois lorsqu'un des deux s'étouffe. Il ne semble pas respirer et ses yeux sont vitreux.
L'autre dégaine son
portable et appelle les secours. Il s'écrie : "Mon ami est mort ! Que puis-je faire ?" Le standardiste lui répond :
"Calmez-vous. Je vais vous aider. D'abord, assurez-vous qu'il est bien mort." Un silence, puis un bruit de tir. L'homme revient
au téléphone et dit : "OK, et maintenant
?""
Les meilleurs
clients des blagues, quel que soit
leur registre, sont les Allemands suivis des Français, des Danois, des Anglais. Les Irlandais, les Britanniques, les Australiens et les Néo-Zélandais affichent une préférence marquée pour des plaisanteries fonctionnant sur un jeu de mots. Tandis
que les Américains du Nord
(Etats-Unis et Canada) préfèrent les gags bâtis sur un "complexe" de supériorité, soit parce qu'une personne
paraît stupide ou qu'une autre
l'a fait apparaître comme telle, à son corps défendant. Les Français, les Danois et les Belges
apprécient davantage les boutades relevant de l'absurde. En règle générale,
les Européens goûtent les historiettes liées à des sujets qui "souvent nous rendent anxieux, tels que la mort, la maladie et le mariage".
Pourquoi aime-t-on tant rire ? Pour alléger l'inquiétude, dénouer les crispations personnelles, prendre une petite revanche sur plus puissant que soi, se libérer
des inhibitions, adhérer à des logiques
irrationnelles qui échappent
au quotidien. Rire de rébellion
ou rire de consolation.
"Comme l'humour, son
unique rival en tant que
source de plaisir de l'humanité,
le rire jette un pont entre la sphère du mental et celle du
physique, observe dans un article du Guardian, repris dans Courrier
international, Jim Holt, auteur d'Arrête-moi si tu la connais,
histoire et philosophie des blagues.
(...) On peut également établir un parallèle
avec le sexe. A en croire
le marquis de Sade, le but du rapport sexuel est d'arracher à son partenaire des bruits involontaires,
ce qui est exactement l'objectif de l'humour, même si le bruit en question est quelque peu différent."
Ah ! Selon l'étude
britannique, la période la
plus propice pour raconter une histoire drôle est le 15 du mois
à 18 h 30. Elle passera alors
pour irrésistible, tandis qu'elle fera l'effet
d'un flop à 1 h 30 du matin et provoquera,
peut-être, en écho un bruit
involontaire : le ronflement !