Lance Armstrong, vainqueur médiatique du Tour de France

 

par Mustapha Kessous

 

28.07.09

 

Que retenir de ce Tour de France 2009 ? Le sacre de l'Espagnol Alberto Contador ? Probablement. Mais plus sûrement le retour de Lance Armstrong au sommet du cyclisme mondial. Car l'Américain, même s'il finit troisième, est le grand vainqueur de l'épreuve. Tout au long des trois semaines de course, il a imposé sa vision de la Grande Boucle, qu'il a définitivement fait basculer dans la société du spectacle. En 1993, âgé de 21 ans, Armstrong sentait déjà le potentiel de la course. Il déclarait à Jean-Emmanuel Ducoin, journaliste à L'Humanité : "Il s'agit d'un très grand show. Je veux réussir." A presque 38 ans, il a su en tirer la quintessence : l'accumulation des performances et leur mise en scène occultent la question de leur véritable valeur sportive.

 

Lance Armstrong s'est attelé à faire oublier sa réputation de coureur dopé et à effacer les révélations de L'Equipe qui avait annoncé en 2005 la découverte de traces d'érythropoïétine (EPO) dans ses urines prélevées lors de son premier Tour victorieux en 1999. Mission accomplie : il ne fut que très peu bousculé par une presse en partie acquise. Il suffisait de voir les journalistes portant au poignet le bracelet de sa fondation de lutte contre le cancer, Livestrong.

 

Il fut encore moins dérangé lorsque Patrice Clerc, l'ancien président d'Amaury Sport Organisation (ASO, propriétaire du Tour), déclara au Monde que le retour d'Armstrong "rouvre le dossier du doute" (Le Monde du 4 juillet).

 

Autre manoeuvre astucieuse : son équipe Astana exige de la chaîne américaine de sports Versus que ses coureurs - dont Lance Armstrong - soient interviewés par le consultant de la chaîne, Frankie Andreu. Ancien coéquipier du Texan, celui-ci est, avec sa femme Betsy, une des rares personnes à avoir déclaré que Lance Armstrong avait avoué s'être dopé. "En s'affichant avec Frankie, les gens peuvent croire que tout va bien et que ce qu'on a dénoncé n'était pas si grave que cela au final", a expliqué Betsy.

 

Lance Armstrong a su élaborer un véritable plan de communication : exalter l'image d'un sportif hors du commun, l'humaniser pour le faire aimer des Français, enfin asseoir sa notoriété aux Etats-Unis - pour peut-être, un jour, viser le fauteuil de gouverneur du Texas (Le Monde du 1er juillet). Cette stratégie est passée par l'élaboration d'un scénario hollywoodien : l'histoire d'un homme qui a terrassé le cancer avant de remporter sept fois le Tour de France. Un "messie" revenu courir "gratuitement" de grandes courses pour alerter la planète sur les dangers du cancer. Son sponsor, Nike, a su trouver un slogan, presqu'emprunté à Obama : "Hope rides again" ("L'espoir court de nouveau").

 

Le scénario a été savamment déroulé depuis l'annonce de son retour en septembre 2008 : Lance Armstrong a gavé les médias de petites phrases - notamment contre son coéquipier Alberto Contador - via notamment sa messagerie Internet Twitter -, provoquant des avalanches de commentaires.

 

Aujourd'hui, le Texan est devenu populaire. Sur les bas-côtés, rares sont les personnes qui l'ont sifflé. Rares aussi les pancartes anti-Armstrong, comme l'Américain le redoutait. Bien au contraire ! Des centaines de milliers de spectateurs l'ont acclamé, hurlant "Allez, le boss !" sur son passage, lui souhaitant même un huitième titre. En 2005, ce même public, lors de son dernier titre, le conspuait, sceptique devant tant d'insolente domination et doutant de la nature de ses performances

 

Lance Armstrong a réussi son pari : revenir à presque 38 ans titiller les meilleurs coureurs du peloton après plus de trois ans de retraite. Depuis Raymond Poulidor, nul n'avait réussi une telle performance. Aujourd'hui, nombreux sont les observateurs qui comparent l'Américain à "Poupou", l'éternel second, si populaire. Cet Armstrong qui avait lancé que le meilleur moyen d'"emmerder" les Français était de revenir sur leurs routes...

 

Avec le retour de Lance Armstrong, les organisateurs ont saisi une belle opportunité : celle de ranimer une Grande Boucle en perte de vitesse, minée par les affaires de dopage. En plus de dix ans, le Tour a perdu 1,5 million de téléspectateurs. En 2006, les audiences étaient en moyenne de 3 500 000 téléspectateurs par jour. Elles étaient descendues à 3 250 000 en 2008.

 

Le Tour de France s'est retrouvé une star avec l'Américain dont le "come-back" a été soigné et mis en scène avec l'aide de France Télévisions, bien avant le départ de la course, comme avec l'émission de Michel Drucker en juin. Malgré l'absence de suspense, le public, qui ne croit plus aux performances des coureurs, a adhéré à la dimension spectacle de Lance Armstrong : le Tour a réuni en moyenne 3,8 millions de téléspectateurs pour une part d'audience de 38,6 %, le meilleur niveau depuis 2005.

 

Pour exister, la Grande Boucle et Lance Armstrong dépendent l'un de l'autre. L'Américain est devenu le nouveau visage du Tour de France, celui d'un sport qui se rapproche du catch tout est écrit d'avance. Sauf en cas de chute ou... de contrôle positif.

 

Courriel : kessous@lemonde.fr.