Michael Jackson, la dernière
des superstars
par Thomas Sotinel
27.06.09
Pour quelques
instants, la mort a rendu à Michael Jackson son statut de star planétaire. Le roi déchu de la pop l'avait perdu au gré de ses démêlés
avec la justice, de ses bizarreries
répercutées ad nauseam, de l'affreuse
métamorphose physique qui avait
fait de l'angelot du label musical Motown une créature d'un genre inconnu.
Le deuil
nous transporte à un moment, vieux
d'un quart de siècle, où Michael Jackson était adulé dans
le monde entier pour ce qu'il créait : la musique, les images, les chorégraphies. Et l'on s'aperçoit, en considérant le
vide qu'il a laissé depuis déjà longtemps, qu'il fut la dernière
des superstars de notre planète.
Il est mort un peu moins d'un siècle après que Charlie Chaplin fut devenu le premier de l'espèce, un
artiste devenu demi-dieu
par le jeu combiné de la
diffusion massive de ses oeuvres et de l'attention universelle des moyens de communication. Pour appartenir
à ce panthéon
du XXe siècle, il fallait être acteur
de cinéma, ou, une fois le disque
microsillon inventé, chanteur. L'autel consacré à Greta Garbo
se dresse à côté de celui d'Elvis Presley.
Chacun des cultes suscités par le star-système procède de raisons particulières : l'érotisme de Brigitte Bardot, l'inventivité prodigieuse des
Beatles... Toutes ces étoiles avaient en commun d'avoir été façonnées par une industrie, celle du cinéma
ou celle du disque. La domination, quasi hégémonique,
des Etats-Unis dans ce domaine
explique en grande partie que la plupart
des superstars soient sinon
américaines, au moins anglophones. Depuis quinze ans, ces
industries ont connu une profonde mutation, dans le cas
du cinéma, ou la faillite, dans le cas du disque, qui ont puissamment contribué à la disparition des supervedettes.
Michael Jackson est le produit
de la Tamla Motown, société
de production de spectacles de Detroit, l'une de ces usines de fabrication d'étoiles devenues aujourd'hui aussi désuètes que les filatures de
Birmingham. Après avoir quitté
la Motown, le chanteur a lié
son sort à la multinationale CBS, qui a vendu à des dizaines de millions d'exemplaires ses
albums Off the Wall, Thriller et Bad. C'est en partie ce
succès qui a poussé le japonais Sony à se porter acquéreur
de CBS en 1987.
Dans la décennie 1985-1995, le système développé autour de Jackson atteint un niveau d'efficacité prodigieux :
portés par de nouveaux instruments de promotion - les
vidéos diffusées sur les chaînes câblées, les partenariats publicitaires -, les disques et
les billets de concert se vendent par millions.
Le déclin
créatif du chanteur
correspond à l'effondrement de ce mode de production. L'introduction
du disque compact accentue
le mouvement de concentration de l'industrie
musicale, mais surtout favorise l'épanouissement de la piraterie :
constitué d'informations numériques, le CD est facilement et exactement reproductible.
Dans le même temps, les médias - chaînes d'information continue, magazines people - découvrent l'extrême rentabilité de la couverture minutieuse de la vie des célébrités.
En 1994 et 1995, le procès
pour meurtre d'O.J.
Simpson, passé du statut de superstar du football américain à celui d'acteur de seconde zone, est bien mieux
couvert que le génocide au Rwanda.
Michael Jackson produit un matériau
idéal pour cette industrie naissante, d'abord avec son mariage dynastique avec la fille d'Elvis Presley, ensuite avec la
saga morbide de ses
transformations physiques, enfin avec le procès pour pédophilie en
2004-2005. Il n'est plus une star, mais une célébrité prisonnière
d'une chronique télévisée. Sur ses brisées, d'autres vedettes livreront délibérément le spectacle de leur
déchéance, comme John Lydon, ex-chanteur des Sex
Pistols, devenu participant de l'émission
de télé-réalité, I'm a Celebrity, Get Me out of Here.
Cette dégénérescence ne s'accompagne
pourtant pas du surgissement
d'une nouvelle génération d'étoiles. Il n'y a pas, et il n'y aura pas de nouveau
Michael Jackson, pas plus que de nouveaux Beatles. Dans l'industrie de la musique, les artistes qui apparaissent
aujourd'hui font l'objet d'engouements aussi violents que brefs,
comme si la rapidité des news cycles avait imposé sa
loi aux périodes de créativité.
Le cinéma
a mieux résisté aux
mutations industrielles et médiatiques, mais il a appris à se méfier de ses stars, qui coûtent cher et dont la présence au générique ne garantit pas le succès commercial. Quitte à investir des centaines de
millions de dollars, les studios - qui, contrairement
aux maisons de disques, ont su se transformer et n'ont plus rien à voir avec les usines à rêve de l'âge d'or
- préfèrent tourner des
films sans vedettes, divisibles
en épisodes, Harry Potter, X-Men ou
Le Seigneur des anneaux, ou,
plus simple encore, des dessins animés.
Les
industries culturelles apprennent
chaque jour à se passer des superstars. Mais, parce
que nombre d'entre elles - Mick Jagger, Madonna, Will Smith... - survivent
et prospèrent, parce que la frontière entre étoile et célébrité reste floue, la planète ne s'est pas encore rendu compte qu'il
s'agissait d'une espèce en voie de disparition, dont Michael Jackson
fut le dernier spécimen à apparaître, il y a déjà, seulement, trente ans.