Retenons toutes les leçons du New Deal
par Pierre-Alain Muet
Comme la crise de 1929, la crise actuelle a deux faces. La face émergée, c'est évidemment la crise financière. Des exigences de rentabilité incompatibles avec l'économie
réelle, entretenues par la
multiplication d'innovations financières,
se sont effondrées comme des châteaux de cartes, lorsque les anticipations des marchés
se sont retournées.
Mais il y a aussi
l'autre face : la pression constante sur les salaires résultant de ces exigences de rentabilité a pro-fondément creusé les inégalités entre les revenus salariaux et les revenus du
capital. L'économie américaine
a continué à croître dans les années 2000, alors même que
le salaire médian stagnait, grâce à une demande alimentée
par l'endette-ment des ménages les plus modestes. Cette situation s'est retrouvée de façon moins marquée
dans tous les pays eu-ropéens, y compris en France. Comme à la veille de la crise de 1929, la mondialisation libérale a conduit
à une formi-dable
accumulation de la richesse au sein
d'une petite minorité de la
population.
Si, contrairement
à la crise de 1929, les gouvernements
ont su éteindre
transitoirement l'incendie
financier et éviter des faillites bancaires par une injection massive de fonds
publics, ils n'ont pas pris la dimension des changements
pro-fonds qu'il faudrait introduire dans la régulation mondiale pour répondre réellement à ce qui est la première grande crise de la mondialisation libérale.
Après la crise
de 1929, Roosevelt prit des mesures
radicales, séparant en 1933
les banques d'affaires des banques de dépôt et introduisant une régulation stricte de ces dernières, avec une conviction forte : les banques qui détiennent des dépôts exercent en quelque sorte une
mission de service public. Elles ne doivent pas faire courir de risques au système des paiements en spéculant sur les marchés financiers. Elles doivent donc
être soumises à une régulation stricte et, en contrepartie,
l'Etat garantit qu'elles ne tomberont pas en faillite.
Avec le New Deal, il a jeté
les bases de l'Etat-providence moderne
dans un pays où cette culture de la protection sociale
était totalement étrangère. C'est cette généralisation à l'Europe des politiques publiques, conjuguée au dévelop-pement de l'Etat-providence
et à une économie
financière fortement régulée qui a contribué à la
longue période de prospérité
de l'après-guerre, lorsque prévalait le système de Bretton
Woods.
Mais il est
un autre domaine où Roosevelt bouleversa profondément et durablement les règles :
les inégalités. A la veille de son arrivée à la Maison Blanche, le taux marginal
de l'impôt sur les revenus les plus élevés n'était que de 25 %. Il le fera passer à 63 %, et il atteindra 91 % en 1941.
Pendant un demi-siècle, les Etats-Unis vivront avec un taux mar-ginal d'imposition sur les très hauts revenus
proches de 80 %. Cette fiscalité dissuasive sur les très hauts revenus
con-duira à une forte réduction des inégalités avant impôts (et a fortiori après) ; situation que l'on retrouvera dans presque tous
les pays industrialisés dans
l'après-guerre.
La dérive
des hautes rémunérations n'a pas de justification économique.
Elle contribue au contraire à la perte de confiance dans le système économique. Qui peut croire que le travail d'un salarié dont la rémunération moyenne est de 1,6 smic,
d'un cadre moyen ou d'un
patron de PME, dont la rémunération moyenne est de 3 smic, a 100 ou 200 fois moins
de valeur que le travail
d'un patron du CAC 40 qui, en cumulant
stock-options et bonus, touche plus de 300 smic par an ! Dans la période des " trente
glorieuses ", où les
chefs des grandes entreprises
et des banques se préoccupaient
d'abord de leur métier de
patron, les écarts de rémunération
étaient dix fois plus faibles et l'économie s'en portait bien !
Dans ces trois
domaines, régulation,
action publique, inégalités,
l'efficacité économique est très éloignée
du credo libéral qui a conduit l'économie
mondiale dans le mur. On comprend
mieux les difficultés que rencontre Nicolas Sarkozy
pour répondre efficacement
à la crise. Les valeurs sur lesquelles il a fait campagne
et dont témoigne le paquet fiscal de l'été 2007,
dernier avatar de " l'économie du ruissellement ", sont aux
antipodes des politiques qu'il
faudrait conduire aujourd'hui. Contraint par l'ampleur de la crise à imiter des politiques qu'il bannissait de son vocabulaire, il
est aussi mal armé pour mettre en oeuvre une vraie politique
de relance que pour contribuer aux nécessaires réformes de l'économie mondiale.
L'Amérique a tourné la page de George
Bush et ouvre une autre époque avec les
premières mesures de Barack Obama. Empêtrée dans une idéologie
dépassée, la France de Nicolas Sarkozy risque d'être longtemps hors jeu.
Pierre-Alain
Muet
Député PS du Rhône,ancien
président déléguédu Conseil d'analyse économique