Hubert
Védrine et l'Amérique
de Barack Obama
16.01.09
Corine Lesnes, Correspondante à
Washington
a démocratisation est-elle "un objectif légitime" des politiques occidentales ? Cela fait onze ans que
Madeleine Albright et Hubert Védrine
débattent de la question. L'ex-secrétaire
d'Etat américaine entend encore la voix de son
homologue français, interrompant
le ronron des conférences téléphoniques sur le Kosovo.
"Paris demande la parole
!" Aujourd'hui, les points de vue se sont rapprochés.
"Madeleine" est moins flamboyante. La faute à George Bush, dit-elle,
qui a donné "une mauvaise réputation à la démocratie". Hubert Védrine,
lui, craint une coalition du monde multipolaire
contre "nous, les Occidentaux",
mais il voit
les Etats-Unis en posture favorable pour continuer à dominer, ce dont
il ne semble pas se formaliser.
Invité à Washington par la Brookings Institution et l'ambassade de France à l'occasion
de la parution en anglais
de son livre Continuer l'Histoire
(Fayard, 2007) - sous un titre très "Star Wars" : History Strikes Back ("L'Histoire
contre-attaque") -, M. Védrine
a discuté avec son ancienne
homologue et livré ses réflexions sur l'état du monde à quelques jours de l'investiture, le 20 janvier, de Barack Obama. M. Védrine
continue à se méfier des idéalistes. Plus que les "vieilles idées des Lumières", il
pense que c'est peut-être la défense de l'environnement qui deviendra la valeur universelle de demain. Pour lui, les Occidentaux ont péché par arrogance depuis la chute de l'URSS : "On se prenait pour les maîtres du monde sur l'Olympe. On décidait de qui on sanctionne, qui on bombarde..."
Aujourd'hui, pour l'ancien ministre des affaires étrangères
de Jacques Chirac et de Lionel Jospin,
de 1997 à 2002, les maîtres "ne contrôlent plus vraiment le système". Il suffit de voir "l'absence impressionnante de résultats"
de la diplomatie occidentale : "On n'a même pas réussi
à convaincre les Birmans"
de laisser entrer l'aide humanitaire. Pour Hubert Védrine, les Occidentaux tâtonnent, s'emmêlent dans leurs priorités.
"On fait pression sur
un pays dont on va avoir besoin la semaine suivante pour faire pression sur un autre", souligne-t-il.
Hubert Védrine
plaide pour un retour au réalisme : "On ne peut plus continuer le prosélytisme
occidental comme si rien ne s'était passé." Pour
lui, le monde n'est pas
encore "post-américain", selon l'expression de l'éditorialiste Fareed Zakaria, mais le "monopole occidental sur
l'Histoire" est fini. Pour l'ancien ministre, "un jour on se dira peut-être que les droits-de-l'hommistes n'auront
pas eu plus d'influence sur la Chine que les missionnaires catholiques".
Le bilan
"désastreux" de la politique
de George Bush donne, selon Hubert Védrine, à Barack
Obama une réelle marge de manoeuvre. "Tout le monde a confiance en lui, alors que
personne ne sait ce qu'il pense
ou ce qu'il
va faire", a-t-il constaté.
Du simple fait d'avoir décrété qu'il dialoguerait avec les dictateurs, il
incarne la rupture avec le dogmatisme
précédent. Déjà, par le seul
fait de cette proposition, Barack Obama a entraîné une
discussion au sein du pouvoir
iranien.
Sur le dossier israélo-palestinien, M. Védrine pense aussi que
les Etats-Unis ont les moyens de "retourner la
situation". L'ancien ministre
des affaires étrangères l'a
dit à ses interlocuteurs :
"Imaginez le rayonnement
qu'aurait un président américain qui réglerait le problème palestinien. L'Amérique a cette carte. Comment
peut-elle s'en priver ?"
Reste la question de fond :
"Devons-nous traiter
avec le reste du monde ou devons-nous le changer ?" Barack Obama n'a pas encore livré le fond de sa pensée.
Pour l'instant, sa
priorité est de réparer.
Courriel : lesnes@lemonde.fr.