Obama
n'a pas encore vu l'âme de Poutine
par Daniel Vernet
09.12.08
Barack Obama a raison. "Il est important pour nous de reprendre de zéro les relations
entre les Etats-Unis et la Russie",
a déclaré le président élu, dimanche 7 décembre, à la chaîne NBC. Ces relations sont aujourd'hui un champ de ruines. Même si
les canaux de communication n'ont
pas été coupés, les spécialistes
remarquent que les domaines de négociations sont moins vastes
et les contacts moins intenses entre les gouvernements qu'au temps de la guerre froide.
Après la dissolution de l'Union soviétique, tout paraissait bien aller. Avec ses facéties
pas toujours du meilleur goût, Boris Eltsine avait le don de faire rire Bill
Clinton. Plus sérieusement, les Etats-Unis
et la nouvelle Russie avaient
réussi à créer des liens, à
mettre en place des institutions communes - on pense à la commission coprésidée
par le vice-président Al Gore et le premier ministre Viktor Tchernomyrdine -,
malgré des désaccords qui culmineront avec la guerre au Kosovo mais
qui déboucheront malgré
tout sur la création du Conseil OTAN-Russie.
Entre George W. Bush et
Vladimir Poutine, aussi,
les contacts initiaux avaient
été bons. Lors de leur première rencontre à
Ljubljana, en Slovénie, au printemps
2001, le président américain
s'était émerveillé d'avoir "vu l'âme" de
son collègue russe en le regardant au fond des yeux.
Les attentats du 11 septembre de la même année avaient rapproché
les deux hommes dans une lutte
commune contre le terrorisme
international.
Dans la dégradation qui a suivi, les deux parties portent une part de responsabilité. S'appuyant sur les changements intervenus dans le monde après la chute du mur
de Berlin, les néoconservateurs américains
ont remis en cause les
accords datant de la guerre froide
qu'ils avaient toujours combattus, notamment le traité ABM de 1972 sur les missiles antimissiles. L'installation
d'éléments d'un bouclier
antimissile en Pologne et en
République tchèque est un avatar de cette politique. L'expansion de l'OTAN jusqu'à d'anciennes républiques soviétiques a été
une autre pomme de discorde.
La Russie s'est servie de ce prétexte
pour tenter de recréer autour d'elle une
zone d'influence, entamée
par les "révolutions de couleur",
en Géorgie et en Ukraine. Après avoir
été, dans les premiers
temps de l'après-communisme, un
partenaire des Occidentaux,
la Russie a de nouveau misé
sur une rivalité
qui lui redonnait le
sentiment d'être une grande
puissance.
Ni euphorie des années 1990 ni retour à la guerre
froide :
entre ces deux extrêmes, M. Obama définira sa politique russe.
Pour l'instant, il
s'en est tenu à des généralités. Il veut coopérer
avec le Kremlin "là où
c'est possible" (contre
la prolifération nucléaire
et le terrorisme) et le mettre
en garde contre l'intimidation de ses voisins. C'est bien mais pas concluant. Peut-il faire
des gestes pour montrer sa volonté de reprendre
le dialogue ? Dans les milieux démocrates, certains laissent entendre qu'il serait bon de ralentir l'élargissement de l'OTAN, ne serait-ce que pour ne pas se retrouver dans un conflit
par solidarité avec des gens comme
le président géorgien. Les mêmes ajoutent
que le projet de bouclier antimissile en Europe pourrait
être "revisité".
M. Poutine ne devrait cependant pas se bercer d'illusions sur un président
américain qui passe pour être peu expérimenté
en politique étrangère. En
1961, Nikita Khrouchtchev avait
cherché à impressionner
John Kennedy en lui déclarant,
lors de leur premier entretien à Vienne en 1961 : "Ce qui est à nous est à nous, ce qui est à vous est
négociable." L'année suivante,
le jeune président américain faisait reculer l'URSS à Cuba.