L'"obamania"
gagne la France
26.04.08
Les Américains démocrates
vivant en France préfèrent Barack Obama à Hillary Clinton. Mais les Français ne
sont pas en reste. Le Comité français de soutien à Obama a des recrues très
distinguées
Dans un immeuble cossu du
boulevard Saint-Germain, une quarantaine d'Américains de Paris, un verre de vin
à la main, écoutent avec attention la voix masculine sortant d'un haut-parleur
téléphonique posé sur la table basse du salon. Elle leur parvient de Chicago, plus
exactement du quartier général du candidat à l'investiture démocrate Barack
Obama. C'est Michael Robertson, chargé des relations avec le Congrès, qui
décortique savamment, ce 23 avril, les résultats des primaires de Pennsylvanie,
gagnées quelques heures auparavant par Hillary Clinton. Même si c'était assez
prévisible, son discours triomphal a semé la consternation chez les partisans
du sénateur de l'Illinois.
"Avez-vous des
questions ?", demande le
commentateur lointain à l'issue de son exposé. L'assistance s'ébroue. Bien sûr
qu'elle a des questions ! C'était même l'objectif de cette petite réunion du
groupe de soutien à Barack Obama (289 membres référencés à Paris, contre 64
dans celui d'Hillary Clinton). Constance Borde, l'hôtesse de la soirée, vice-présidente
de Democrats Abroad, se lance : "Nous savons tous qu'Hillary ne peut
pas rattraper son retard. Mais j'ai peur que ses attaques fielleuses
n'affaiblissent Obama dans le combat qu'il devra livrer contre le candidat
républicain. Croyez-vous que des dégâts irréparables aient été commis ? Que des
électeurs se tourneront vers McCain ?"
Les visages se tendent vers
le haut-parleur. C'est bien là la question. Et la franchise de Constance Borde
paraît soudain libérer l'anxiété, voire la colère, qui imprègne les esprits. "C'est
terrible ! reprend une femme aux cheveux blancs. Hillary a fait une
campagne odieuse, négative, typiquement républicaine." Un homme
enchaîne : "Pendant huit années, on a eu affaire à un président
américain borné et sourd. Je crains qu'Hillary ne lui ressemble ! Le pays est
en feu, et elle n'écoute rien, n'entend rien, s'accroche au-delà de toute
raison !"
Certains sourient, la plupart
hochent la tête. "C'est incroyable qu'on parle encore d'elle ! Elle a
perdu !", dit une femme ulcérée. "Ce n'est pas seulement son
ambition ou son ego qui la propulse, renchérit son voisin. Ce sont les gros
groupes et lobbies qui tiennent Washington. Ils ne pensent qu'à leurs contrats
et tremblent de voir arriver un homme neuf." Elle mise sur les super-délégués,
explique Constance Borde : "C'est eux qu'elle entend séduire et
convaincre. Elle était la candidate du parti, celle qui contrôlait la machine,
et elle veut leur montrer qu'elle est la mieux à même de l'emporter dans les
grands Etats généralement attirés par les républicains." Une voix
s'élève : "Mais à quel prix ? Elle joue la carte Bush et la politique
de la peur. C'est à elle que nous devons le biais racial honteux
introduit dans la campagne ! Ça me rend dingue !"
Tous, en tout cas, se
réjouissent que leur candidat résiste à la tentation des attaques personnelles
et continue de se comporter en gentleman. "Hillary nous fait perdre de
vue l'essentiel quand Obama porte haut notre idéal, affirme un professeur.
Mais quand donc se décidera-t-on à travailler sérieusement le dossier McCain ?
C'est un type dangereux, proche de certains fascistes de Washington, qui ne se
plaisent que dans la guerre et le conflit. Or voilà qu'il finit par apparaître
comme un modéré..."
Un homme jeune, né en France
mais fraîchement débarqué de Los Angeles, avoue ignorer pour qui ont voté les
démocrates de l'étranger. "Pour Obama !", répond d'un même
élan l'assistance. Sur 25 000 Américains démocrates répartis dans le monde,
65,6 % se sont prononcés pour Obama contre 32,7 % pour la sénatrice Clinton.
Seuls deux pays sur soixante-dix (Israël et la République dominicaine) ont
résisté à la déferlante Obama. En France, le score de ce dernier a même atteint
71,8 %. "Et qu'en pensent les Français ?", poursuit
l'Américain. Cette fois, l'assistance éclate de rire. Là-dessus, aucun doute :
les Français votent Obama.
"Regardez mon
tee-shirt ! sourit Constance Borde,
la poitrine moulée dans l'effigie du jeune sénateur. Je me le suis procuré sur
un site Internet français pro-Obama." Jeannette Demeestere, professeur à
Sciences Po, renchérit : "Mes étudiants français sont fascinés par le
phénomène. Ils n'arrêtent pas de me dire : "Quelle chance d'avoir un homme
politique de cette trempe !" Ils sont jaloux."
D'après Zachary Miller, qui
anime en France la campagne du sénateur métis, les sondages montrent que le
coeur des Français penche nettement vers son protégé. Pas une semaine sans que
tel ou tel ne lui demande de venir parler de lui ou, à l'inverse, ne propose
son aide. Une Américaine arborant l'autre jour un pin's à l'effigie d'Obama a
été saluée joyeusement par un chauffeur de bus noir qui l'a transportée
gratuitement. Une autre s'est vu offrir des fruits sur un marché de Pigalle.
"Sympathique ! glisse Anna Marie Mattson, elle aussi responsable des
Democrats Abroad. Mais franchement, ce n'est pas le genre d'information à
ébruiter : le soutien de l'opinion française constitue plus un handicap qu'un
atout pour un candidat américain !"
Samuel Solvit, 22 ans, le
président du Comité français de soutien à Barack Obama, met pourtant tout en
oeuvre pour "ébruiter" l'affaire. Il veut, lui, élargir le
mouvement qu'il a lancé en y associant dès l'origine quelques noms célèbres :
Pierre Bergé, Sonia Rykiel, Bernard-Henri Lévy, Jack Lang, Bertrand Delanoë
et... Axel Poniatowski, président UMP de la commission des affaires étrangères
de l'Assemblée nationale. Incollable sur le parcours, les discours et le
programme du sénateur de l'Illinois, l'étudiant en école de commerce rêve de
susciter une dynamique autour du candidat Obama.
D'abord, dit-il, "pour
stimuler un débat : l'Amérique, la mondialisation, le renouvellement nécessaire
de la classe politique, l'engagement des jeunes..." Et puis pour faire
savoir aux Etats-Unis que "cette élection concerne la planète, qu'elle
nous importe et que nous sommes attentifs à l'émergence de ce candidat porteur
d'espoir et ouvert sur le monde".
Créé fin janvier, son site
www.pour-obama.fr n'a cessé de se perfectionner, suivant au jour le jour
l'actualité de l'élection américaine, multipliant les témoignages, et renvoyant
sur une multitude de sites, blogs, et réseaux de soutien (une douzaine sur
Facebook rassemblant près de 2 000 personnes).
Le politologue Olivier
Duhamel, inscrit parmi les premiers au comité français, n'est évidemment pas
dupe de l'influence d'une telle initiative, mais espère favoriser une réflexion
du monde politique, économique et institutionnel sur le retard de la France en
matière d'ouverture à la diversité. "La simple observation de l'émergence
d'Obama devrait faire bouger les esprits, dit-il, surtout à un moment où les
idéologies se brouillent et où la haine de l'émigré agit comme un ressort
démagogique venimeux."
Et puis, ajoute le
professeur, "comment bouder le plaisir que donne le sentiment d'assister à
un tournant de l'histoire ?" Axel Poniatowski est pour sa part convaincu
qu'Obama apportera une vision beaucoup plus multilatérale du monde, favorisera
un rapprochement France-Amérique, et abordera avec "plus d'ouverture et
d'équilibre" le dossier du Moyen-Orient. "C'est une opportunité
magnifique", dit-il. Enthousiaste, mais sans illusion. Dans la campagne
pour la présidentielle américaine, la sympathie du reste du monde compte, hélas
!, pour... peanuts !
Annick Cojean