Obama et
le retour aux Pères fondateurs, par Daniel Vernet
25.03.08
fin d'échapper
à une dangereuse
promiscuité avec le pasteur
Jeremiah Wright, de l'Eglise unifiée
de la Trinité du Christ, qui
l'a marié et a baptisé ses enfants,
Barack Obama a prononcé le 18 mars un discours sur les rapports entre les races aux Etats-Unis, qui
a suscité l'attention, l'admiration et la controverse. Les
premiers échos ont été unanimement
flatteurs. Orateur surdoué, le candidat
à la nomination démocrate avait réussi à
se sortir d'un mauvais pas
sans renier celui qui avait été une
sorte de directeur de
conscience. Dans un deuxième temps, les analyses ont été plus sévères. Premier prétendant noir à l'élection présidentielle ayant une chance d'entrer à la Maison
Blanche, M. Obama serait tombé
dans le piège qu'il voulait à
tout prix éviter : apparaître comme
un candidat communautaire.
La lecture attentive de son texte incite à donner raison à David Eisenhower,
politologue et petit-fils
de l'ancien président des Etats-Unis, cité par l'International Herald Tribune : avec
ce discours, "Obama a offert une raison convaincante de penser que son heure était
arrivée". Sans négliger
les impératifs tactiques
qui l'ont amené à s'exprimer, le sénateur de l'Illinois s'est placé, en choisissant Philadelphie, dans les pas des Pères fondateurs des Etats-Unis. Son
leitmotiv est marqué du sceau
de l'espoir et de l'optimisme
dans une Union "toujours perfectible". Celle-ci n'est
pas parfaite. Elle ne l'a jamais
été. La Convention de Philadelphie,
qui proclama l'indépendance
et prépara la Constitution, se
référait à une philosophie politique, mélange de foi chrétienne et d'esprit des Lumières. Elle n'en
accepta pas moins la poursuite de l'esclavage, qui a été à l'origine
de la guerre civile, dite
guerre de Sécession, au milieu du
XIXe siècle.
Barack Obama le rappelle afin de montrer qu'une des constantes de l'histoire américaine a été
l'effort pour "réduire
le fossé entre les promesses de nos idéaux et les réalités de notre temps". Il ne s'agit pas pour lui d'affirmer que les Etats-Unis sont - voire doivent
être - une société "postraciale". Dans un livre
publié en 2006 et traduit
en France en 2007, L'Audace d'espérer
(Presses de la Cité), il réfutait cet objectif.
Au contraire, il considère que les Américains ne se sont pas vraiment attaqués à la complexité
des relations raciales, que
les préjugés demeurent avec
les discriminations envers les Noirs, les Latinos, les
Asiatiques. Il comprend aussi que la discrimination positive ait
pu nourrir le ressentiment anti-Noirs de la communauté
blanche, où le contingent des pauvres
est grossi par des transfuges de la classe moyenne frappés par la crise.
Le remède
proposé est toujours le même : améliorer l'Union,
s'appuyer sur "les chemins typiquement américains de promotion sociale",
dont il se veut un exemple, lui qui présente les retrouvailles à Noël de sa famille multiculturelle
comme "une réunion de l'Assemblée générale de l'ONU". Dans la société américaine, il
n'y a pas de fatalité de l'échec. Le succès est toujours possible, et l'espoir de s'en sortir jamais éteint,
parce que la confiance des Pères fondateurs dans l'avenir reste vivace :
"Cette Union ne sera peut-être jamais parfaite, mais elle a montré, génération après génération, qu'elle pouvait être perfectionnée", martèle le candidat à la présidentielle.
Ce discours de Philadelphie est
un mélange d'habileté politicienne
et de candeur. Exprimée par
un homme de couleur qui a réussi, la foi en l'Amérique est propre à
rallier ceux qui prospèrent comme ceux qui espèrent, Blancs, Noirs ou immigrés. Et propre
à transcender les clivages partisans. La course à
la Maison Blanche est encore longue, mais Barack Obama démontre au moins qu'il est
à la hauteur de son ambition.