Clinton-Obama, duel de
"minorités", par Patrick Jarreau
03.02.08
Les Américains pourraient porter à la tête de leur pays, dans neuf mois, une femme blanche ou un homme noir, deux "minorités" dans le vocabulaire politique d'outre-Atlantique. La candidature démocrate à la Maison Blanche va en effet revenir soit à Hillary Clinton, soit à Barack Obama, au terme d'une compétition qui a toutes les chances de se prolonger au-delà de la série de primaires du 5 février, le "Super Mardi", où l'on votera dans une vingtaine d'Etats. Les démocrates étant en bonne position pour remporter, en novembre, l'élection présidentielle, la possibilité que la puissance occidentale dominante soit dirigée demain par un homme d'ascendance africaine ou par une femme suscite la curiosité sur tous les continents.
Si Mme Clinton entre
à la Maison Blanche, le 20 janvier 2009, presque quatre-vingt-dix ans après l'établissement du suffrage féminin aux Etats-Unis, la
Vue de l'intérieur
des Etats-Unis, l'élection d'une femme à la présidence marquerait une rupture. Parce que le mouvement de libération des femmes y a une partie de ses
Dans la vie politique comme dans l'économie, les femmes qui ont exercé ou qui exercent des fonctions de premier plan sont rares. Une seule s'est engagée, cette année, dans la compétition présidentielle, où l'on comptait au départ quinze hommes. Nancy Pelosi est la première femme de l'histoire qui ait accédé au poste de speaker de la Chambre des représentants - 86 députées sur 535 -, après la victoire des démocrates aux élections législatives de 2006. On ne compte que seize femmes, dont Mme Clinton, sur cent sénateurs. Huit Etats, sur cinquante, ont une gouverneure.
C'est dire que
les Etats-Unis sont loin de
la parité. L'élection de
Mme
Si M. Obama
devient le candidat du Parti démocrate
et s'il bat le candidat républicain, ce sera, un peu plus de quarante ans après la loi imposant le respect du droit de vote des Noirs, l'aboutissement
d'une lutte commencée avec la guerre de Sécession,
en 1861, pour la reconnaissance de la dignité des Américains dont les ancêtres ont été
réduits en esclavage. Certes, le sénateur de l'Illinois n'est pas lui-même issu de cette histoire-là. Il est né
à Hawaï d'un père kényan et d'une mère venue du
Mme Clinton met en avant le fait qu'elle est une femme, alors que M. Obama prend garde de ne pas apparaître comme un candidat identitaire. Les chiffres de la population féminine et de la population africaine-américaine expliquent cette différence de stratégie, mais pas seulement. Le sénateur de l'Illinois tente de se frayer un passage entre une candidature de témoignage, qui renoncerait d'avance à la victoire, et l'affirmation d'une "politique postraciale", également perdante parce qu'elle ignorerait les attentes de tous ceux qui souffrent du racisme et de ses conséquences. "Pour penser clairement au sujet de la race, nous devons voir le monde sur un écran divisé, en gardant en vue le genre d'Amérique que nous voulons, tout en regardant lucidement l'Amérique telle qu'elle est", écrit-il dans son livre L'Audace d'espérer (traduction française aux Presses de la Cité, 2007).
M. Obama s'efforce d'être le candidat du rêve américain, celui d'une société multicolore d'hommes et de femmes libres et égaux - projet qui s'adresse à tous -, et le candidat non pas d'une minorité, mais des minorités noire, latino-américaine, asiatique, qui subissent les effets de leur non-appartenance au groupe fondateur et dominant, originaire d'Europe. Face à l'atout que représente cette négritude à la fois assumée et transcendée, Mme Clinton et son mari ont tenté, chacun à sa manière, de renvoyer le jeune politicien dans son ghetto. Elle lui a reproché d'exalter le souvenir de Martin Luther King en oubliant le président Lyndon Johnson, qui a imposé les lois sur les droits civiques et sur le vote, en 1964 et 1965. Bill Clinton, de son côté, a sournoisement rappelé les succès du candidat communautaire Jesse Jackson, en 1984 et en 1988, en Caroline du Sud, pour relativiser celui de M. Obama, le 26 janvier, dans ce même Etat à forte population noire.
La compétition démocrate flirte ainsi avec une dangereuse concurrence des inégalités à corriger ou des injustices à réparer. Le risque est qu'en divisant l'électorat de leur parti les deux candidats ne provoquent des fractures que celui d'entre eux qui obtiendra l'investiture ne pourra pas réduire.
Courriel : jarreau@lemonde.fr