Ni guerre froide, ni guerre contre
le terrorisme
Par Pierre Rousselin
le 2 octobre 2014
La vie serait simple si les clés de l'avenir se trouvaient dans le passé. Quand Vladimir Poutine remet en question l'ordre international en Ukraine, chacun pense à un retour de la guerre froide. Quand l'Amérique mobilise une coalition internationale pour combattre les djihadistes de l'Etat islamique, c'est la guerre contre le terrorisme de l'après 11 septembre 2001 que l'on invoque.
Ceux qui connaissent bien l'histoire récente, savent que le monde a beaucoup changé et se méfient des parallèles trompeurs. Il n'empêche. La tentation demeure de se raccrocher à l'expérience vécue.
Les Américains ont tendance à vouloir revivre chacun des deux épisodes parce qu'ils pensent en être sortis victorieux. La guerre froide s'est achevée avec l'effondrement du bloc soviétique tandis que la traque d'al-Qaida est considérée comme un succès depuis le raid contre Ben Laden et la redoutable efficacité des attaques de drones. Vladimir Poutine entretient scrupuleusement son image d'ancien espion du KGB en RDA. Chez lui, l'équivoque est impossible : il affiche fièrement sa volonté de revanche après « la plus grande catastrophe géopolitique du XXème siècle ». Quant aux barbares de l'Etat islamique, ils sont les enfants d'al-Qaïda. Les nouveaux terroristes prennent au pied de la lettre les diatribes de Ben Laden à propos du « califat » et sont déterminés à réaliser très concrètement un objectif qui n'était jusqu'alors projeté que dans un avenir mythique.
Chacun a bien compris que nous ne revivrons pas les années 1945-1989. La Russie n'a pas la puissance qu'a eue, à un certain moment, l'Union soviétique. Le Kremlin n'est à la tête d'aucune alliance internationale. Il n'a aucune idéologie structurée ou projet de société alternatif, comme le communisme a pu prétendre l'être. Il ne propose pas de nouvel ordre international. Sans doute, serait-il bon d'en tenir compte. Au lieu d'accumuler les sanctions pour expulser la Russie de la vie moderne et revivre la sourde confrontation du siècle dernier, ne serait-il pas plus avisé de faire tout le contraire et de multiplier les échanges afin de conforter ceux qui, à Moscou, peuvent partager notre façon de voir ? Croit-on vraiment que dans le monde actuel la pression économique occidentale amènera un jour un nouveau Gorbatchev à succéder à Poutine ?
Quant à l'indispensable combat contre l'Etat islamique, ne le confondons pas avec le triste précédent de la guerre « contre le terrorisme », livrée par l'Amérique de George W. Bush. Les nouveaux djihadistes ont tiré la leçon de la faillite d'al-Qaïda. Plutôt que se faire décimer par des machines volantes, ils préfèrent s'approprier des territoires, se fondre dans la population, se créer des sanctuaires et susciter des vocations, en profitant des guerres, des conflits ethniques et religieux et de la faillite des Etats. Syrie, Irak, Libye.... ce ne sont pas les opportunités qui leur manquent.
Les bombardements aériens, avec ou sans pilotes, n'en viendront jamais à bout. Ils ne peuvent qu'ajouter à la confusion s'ils ne sont pas très vite accompagnés d'une action décisive au sol menée par des forces locales. Barack Obama prétend qu'il ne veut refaire ni l'Irak ni l'Afghanistan. Il reproduit pourtant bien des travers de son prédécesseur.
Jusqu'à récemment l'excuse tenait en un mot : les guerres qui nous étaient livrées était « asymétrique ». Nous avions la force, mais nous ne pouvions pas gagner. Maintenant, les conflits seraient subitement devenus « hybrides ». Vladimir Poutine en serait le spécialiste. Il se sert de l'action militaire, camouflée ou à découvert, de l'humanitaire, des représailles économiques, de la provocation et de la propagande... Cela ferait de lui un grand stratège. Quant au « calife Ibrahim », il n'est pas moins « hybride » : il joue aussi bien de la mise en scène odieuse de sa terreur que de ses alliances avec les trafiquants, les chefs de tribus, les anciens du régime de Saddam Hussein... En un mot, les batailles d'hier étaient simples. Elles sont devenus extraordinairement complexes.
Il serait bon de s'y faire. Plutôt que revivre les situations du passé, ne pourrions-nous pas adapter notre riposte, comme le font nos adversaires ? Avoir enfin un coup d'avance au lieu d'être toujours en retard d'une guerre ?