L'Etat islamique, produit de la guerre entre chiites et sunnites

 

Par Pierre Rousselin

 

le 25 septembre 2014

 

Barack Obama a tout essayé pour éviter d'en arriver . Sa volonté d'extraire les Etats-Unis du Moyen Orient est même l'une des causes principales de la catastrophe qui le force à agir maintenant, il ne voulait pas. Comme ses prédécesseurs, il ne peut y échapper. Quelle que soit sa politique, l'Amérique semble condamnée à faire la guerre dans le monde arabe.

 

Si une organisation terroriste mérite d'être écrasée sous les bombes, c'est bien l'Etat islamique. Les décapitations, les exécutions massives, les appels au meurtre au nom du djihad, la rendent moralement plus que détestable. Le danger ne peut être sous estimé. Son organisation, ses moyens militaires et financiers, sa capacité à conquérir de vastes territoires et à y attirer des milliers de volontaires étrangers, n'ont pas de précédent. En comparaison, al-Qaïda a l'air d'une bande d'amateurs.  C'est maintenant qu'il fallait riposter si l'on ne veut pas que le phénomène se propage, que d'autres « califats » ne surgissent au Maghreb, en Afrique ou en Asie, et qu'une vague d'attentats terroristes ne déferle sur l'Europe et l'Amérique.

 

Barack Obama devait réagir. Mieux vaut tard que jamais. Et s'il eut été préférable d'aider l'opposition modérée à combattre Bachar el Assad en temps utile, c'est-à-dire dès le début, il aurait été vain de renoncer à frapper l'ennemi en Syrie sous prétexte que cela pourrait aider le régime. Dans le contexte actuel, l'argument de la légalité internationale ne tient pas. Bagdad a appelé à l'aide.  Damas a été prévenue et s'est gardée de riposter, même pour la forme. Quant aux objections légalistes de Vladimir Poutine, l'annexion de la Crimée en limite singulièrement la portée.

 

Les bombardements aériens suffiront-ils à éradiquer l'Etat islamique ? Evidemment non. Barack Obama a eu l'audace de dire que son objectif ne se limitait pas à « dégrader » l'Etat islamique mais qu'il s'agit à terme de le « détruire ». Il faudra des années et Washington, pour une fois, en convient. Il faudra surtout que les pays de la région se prennent en charge et se décident à livrer eux-mêmes la bataille contre l'islamisme radical dont ils sont les premières victimes. Sans un soulèvement organisé des sunnites, en Irak et en Syrie, contre l'Etat islamique, les frappes aériennes n'en viendront pas à bout.

 

Le problème est que ce nouvel affrontement se superpose à la guerre qui oppose chiites et sunnites dans l'ensemble du Moyen-Orient au moins depuis la révolution islamiste iranienne de 1979. Le ralliement de quatre pays arabes (Arabie saoudite, Jordanie, Qatar, Emirats arabes unis) qui se sont joints à l'aviation américaine pour légitimer les bombardements sur le territoire syrien a surtout une valeur de symbole. Son utilité opérationnelle dépendra de leur degré d'engagement et du cours que prendront les opérations militaires. L'important est que les cinq sont sunnites et semblent prendre enfin conscience qu'ils ont, à des degrés divers, enfanté un monstre pour livrer la guerre qui les oppose à l'axe chiite dirigé depuis Téhéran.

 

Si les sunnites, qu'il s'agisse des monarchies du Golfe ou bien des tribus irakiennes, tolèrent une entité aussi barbare que l'Etat islamique,  c'est parce qu'ils redoutent encore davantage de voir leurs ennemis chiites, pourtant largement minoritaires dans la région, anéantir leur suprématie séculaire. La Turquie est dans la même situation, de façon encore plus déchirante puisque s'ajoute, dans son cas, le facteur kurde : l'adage, utilisé couramment dans la région, selon lequel « l'ennemi de mon ennemi est mon ami » s'applique ici plutôt deux fois qu'une.

 

L'Amérique et ses alliés n'ont les moyens, ni militaires ni politiques, de mettre un terme à la guerre civile régionale entre chiites et sunnites. Il est même probable que le rapprochement en cours avec l'Iran sur le dossier nucléaire y contribue, en exacerbant les hantises des puissances sunnites. 

 

Contenir le mal et favoriser l'apaisement est tout ce que l'on peut attendre. L'extrême complexité des conflits qui se superposent dans la région rend toute issue incertaine. Il reste à espérer que la barbarie de l'Etat islamique suscite une réaction profonde qui permette d'amorcer une nouvelle dynamique.