Israël peut-il sortir du piège de Gaza ?
Par
Pierre Rousselin
1
août 2014
@prousselin
Khan
Younes.jpgIsraël ne règlera
pas le problème que lui pose le Hamas en bombardant
sans relâche la bande de
Gaza. L'artillerie, l'aviation,
les incursions terrestres et la création
d'une zone tampon peuvent amoindrir la capacité qu'ont les islamistes de lancer
des roquettes sur Israël. Mais le Hamas pourra toujours crier victoire : il lui
suffit de résister à une force militaire dont la supériorité est écrasante. L'accumulation désolante de victimes civiles des raids israéliens ne détourne pas les Palestiniens des militants intégristes.
Elle ne fait, au contraire, que les radicaliser.
Ce même scénario s'est déjà produit deux fois
au cours des dernières années, lors des conflits similaires de 2008-2009
et de 2012. Au fil des ans,
la violence ne fait qu'augmenter, les bilans sont de plus en plus sanglants, mais le problème de fond reste le même. Le Hamas s'est adapté en augmentant la portée de ses roquettes,
en ayant recours à des
drones et en étendant le maillage
de tunnels qui est au coeur
de sa stratégie. Le réseau sous-terrain lui sert à s'approvisionner
en armements depuis l'Egypte voisine, à échapper à la surveillance israélienne,
à s'abriter des bombardements
et à effectuer des incursions en Israël.
Intervenir tous les deux ou trois
ans à Gaza pour détruire l'arsenal des islamistes constitue la seule riposte qu'Israël ait trouvée.
A court terme, elle vise un
objectif militaire précis :
réduire la capacité
offensive des islamistes. Mais
à long terme, elle sert les intérêts du Hamas. Le mouvement islamiste sort à chaque fois grandi
d'une bataille dont le coût en vies humaines met Israël sur le banc des accusés. Une fois le calme
revenu, l'ennemi n'a aucun mal à se réarmer et à reconstruire son réseau de tunnels. Cette année, le Hamas était affaibli au point de devoir soutenir
un gouvernement d'unité nationale avec les modérés de l'Autorité palestinienne. Avec l'offensive israélienne, les plus
extrémistes ont retourné la situation à leur
profit.
Comme en 2008 et en 2012, Israël
est pris dans le piège de Gaza. La logique de guerre radicalise l'opinion publique israélienne qui s'étonne de la poursuite des tirs de roquettes et exige encore davantage de son armée. Même s'il le souhaitait,
l'Etat hébreu ne peut pas réoccuper durablement le territoire comme avant les accords d'Oslo, en 1993. La branche armée du Hamas a eu tout le temps
de s'organiser et causerait
des pertes insupportables à
des troupes d'occupation. Espérer éradiquer les militants islamistes
par la force n'a pas de sens.
D'autres, plus extrémistes
encore, prendront la place du Hamas. Ils existent déjà dans la mouvance salafiste, bien implantée à Gaza.
Comment
échapper à ce cercle infernal ? L'accumulation
de victimes depuis le 8 juillet rend urgent un cessez le feu. L'échec des efforts entrepris jusqu'ici montre qu'une trêve
ne pourra être obtenue que si
elle ouvre la voie à une solution durable. Pour
cela, une feuille de route doit être établie et imposée aux belligérants par un
effort diplomatique coordonné
et soutenu le plus largement
possible.
L'évolution de la configuration internationale dans laquelle s'inscrit le sanglant huis clos
de Gaza peut fournir une lueur d'espoir.
Pour en finir avec les lancers de roquettes,
Benjamin Netanyahou peut compter cette fois
sur un allié objectif de taille : l'Egypte.
Jusqu'au renversement
de Mohamed Morsi, le Hamas était
soutenu par les Frères musulmans
au pouvoir au Caire. Depuis juillet 2013, le mouvement palestinien est devenu une
cible prioritaire de la lutte anti-islamiste menée par le régime égyptien. Le général Abdel Fattah al-Sissi, élu à la présidence en mai dernier, a étendu la « guerre
contre le terrorisme » qu'il mène contre
les Frères musulmans égyptien
au Hamas. L'Egypte
n'a pas attendu le déclenchement de l'opération israélienne en cours pour restreindre les transferts de fonds et s'attaquer aux tunnels
de ravitaillement en armes
qui passent sous la frontière entre Gaza et le Sinaï,
obligeant le mouvement de
la résistance islamique à engager une
« réconciliation » avec l'Autorité
palestinienne.
Du
point de vue Israélien, la poursuite du statu quo est intenable. Le Hamas a réussi à renverser en sa faveur les paramètres
du conflit. La supériorité militaire écrasante sur laquelle l'Etat
hébreu fonde sa défense depuis
sa création devait porter le combat loin des arrières
pour mener des offensives-éclairs destinées
à remporter des victoires rapides avant de subir la pression pour un cessez le feu. Dans un conflit asymétrique comme celui de Gaza, la supériorité militaire israélienne ne parvient pas à imposer sa loi. Elle devient même contreproductive lorsqu'il lui faut
faire des centaines de morts
dans la population civile,
femmes et enfants compris,
pour détruire quelques
tunnels et éliminer quelques
roquettes. A long terme, la
sécurité d'Israël ne dépend pas seulement de sa puissance de feu mais aussi de l'image
projetée dans le monde. Chaque offensive à Gaza dure de
plus en plus longtemps et produit
un effet désastreux sur le soutien que l'Etat hébreu
peut espérer avoir dans la communauté
internationale.
Un
arrêt durable des hostilités
ne peut être accepté par Israël que s'il met en route une démilitarisation effective de
la branche armée du
Hamas. C'est
un objectif auquel devrait souscrire l'Egypte, en coordination avec l'Autorité
palestinienne de Mahmoud Abbas.
En échange de mesures concrètes dans ce sens, sous
supervision internationale, Israël
devra autoriser une levée progressive et contrôlée du blocus de Gaza et faciliter un financement de la reconstruction du territoire
par l'intermédiaire de l'Autorité
palestinienne.
Le
cessez-le feu de 2012, négocié par l'entremise des Etats-Unis, n'avait rien réglé, faute d'une
réelle volonté de l'imposer de la part de l'Egypte alors sous l'emprise
des Frères musulmans de Mohamed Morsi.
Cette fois, la nouvelle donne internationale peut permettre de contrer le Hamas tout en remettant
en selle les modérés de l'Autorité palestinienne. Encore faudrait-il que les diplomaties occidentales assument ce choix,
l'imposent à Israël et cessent de faire le jeu des islamistes et de leurs alliés dans le monde arabe.