Le défi à l'Occident des cinq grands émergents
Par
Pierre Rousselin
le
17 juillet 2014
Après
la coupe du monde de football, le Brésil accueillait le sommet des cinq grands pays émergents, Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (les « BRICS »). Aux côtés de Vladimir Poutine et de Xi Jinping, Dilma Rousseff a pu se consoler de la déroute de la « Seleçao » en rêvant d'un nouvel ordre mondial et lancer sa campagne pour les élections d'octobre prochain.
Malgré l'humiliation
de l'équipe nationale, privée de sa vedette
Neymar face à l'Allemagne
en demi-finale, le Mondial
aura été un succès pour le Brésil. Les émeutes qu'anticipaient les plus pessimistes
n'ont pas eu lieu, en dépit des manifestations de l'an
dernier contre ces 11
milliards de dollars engloutis dans
la construction de stades, à l'utilité
bien éphémère. Avec la préparation des Jeux Olympiques de 2016, il n'est pas certain toutefois que le gaspillage d'argent public ne revienne hanter la présidente. L'effondrement, en pleine compétition, d'un pont à Belo
Horizonte, n'a fait que rendre plus criants les besoins de financement des
infrastructures, comme de l'éducation
et de la santé publique, secteurs
négligés pendant les années
fastes où l'économie était tirée par la remarquable croissance chinoise.
A
l'image du Brésil, menacé par la stagnation et une
inflation en hausse, les « BRICS
» ne sont pas au meilleur
de leur forme. La crise ukrainienne compromet la croissance russe, les espoirs suscités par l'élection triomphale de Narendra Modi en Inde tardent
à se concrétiser tandis que l'Afrique du sud se débat avec les revendications des mineurs et l'instabilité des changes. Seule
la Chine maintient une croissance supérieure à 7%, sans toutefois dissiper les craintes d'un ralentissement
encore plus prononcé qu'entraînerait
un éclatement de la bulle immobilière.
Le
moment était donc venu pour les grands émergents, qui représentent à eux cinq 40% de la population de
la planète et un cinquième
du PIB mondial, de matérialiser leur puissance
nouvelle. La création d'un fonds
de réserve commun et d'une banque de développement, basée à Shanghai
et dirigé par un Indien, est un défi ouvert
lancé aux institutions de Bretton
Woods, crées en juillet
1944 et dont les deux piliers sont le Fonds monétaire international et
la Banque mondiale. Lassés d'attendre que le Congrès des Etats-Unis autorise la réforme du FMI qui leur donnerait
une représentation plus conforme au poids qu'ils ont acquis
dans l'économie mondiale, les BRICS créent l'embryon d'un système parallèle qui se pose en contrepoids, si ce n'est en alternative, à celui dont les bases avaient été jetées
pendant la seconde guerre mondiale,
à un moment où les équilibres
étaient très différents de ceux d'aujourd'hui.
L'avenir des nouvelles
instances est très incertain. Les difficultés que traversent les économies émergentes pourraient sonner le glas d'une période
de rattrapage accéléré et
prolonger la domination occidentale. Mais ce sont
surtout les disparités
entre chacun des pays réunis
à Fortaleza qui incitent à la circonspection.
Le pétro-Etat russe n'a rien de commun
avec l'immense marché chinois dont le fonctionnement étatique est à l'opposé de celui des démocraties indienne ou brésilienne.
Comment coordonner les politiques
quand les intérêts sont aussi divergents
? Tel a toujours été le
handicap des BRIC, dont l'assemblage hétéroclite a été jusqu'à présent
plus symbolique que véritablement opérationnel. Dominées par les Etats-Unis et l'Europe, les institutions de Bretton
Woods ont eu l'avantage, dès leur création, d'exprimer une certaine cohérence. C'est d'ailleurs cette même cohérence
interne qui a aujourd'hui l'inconvénient
de compliquer leur
adaptation aux temps nouveaux.
L'amorce d'une gouvernance économique réunissant les deux géants que sont
l'Inde et la Chine ne peut toutefois laisser indifférent. Elle pointe le
danger d'un monde coupé en deux, où
les émergents se sentiraient
exclus au point de se désintéresser
de l'évolution des institutions internationales
pour se concentrer sur les intérêts propres.
Avant et après le sommet
de Fortaleza, Vladimir Poutine et Xi Jinping ont tous
deux parcouru l'Amérique latine pour se poser
en alternative aux Etats-Unis et consolider
leur présence dans la région, la Chine pour
diversifier des relations économiques déjà très intenses et la Russie pour sortir de l'isolement dans lequel pourraient la plonger les sanctions occidentales
à propos de l'Ukraine. Dans un cas comme dans
l'autre, les stratégies s'affinent. Pékin investit au-delà de l'exploitation des ressources naturelles tandis que Moscou affiche
ses ambitions géopolitiques.
Une nouvelle compétition
entre deux blocs est en
train de naître.