La nouvelle
guerre froide idéologique a
commencé
Par
Pierre Rousselin
le
15 mai 2014
La
confrontation avec le Kremlin à propos de l'Ukraine reste feutrée parce
que les Européens ne veulent pas rompre les ponts avec la Russie pour ne pas compromettre leurs intérêts économiques. Vladimir Poutine l'a bien
compris et ne va pas manquer de pousser son avantage. Mais loin des manoeuvres sur le terrain, en
Ukraine orientale et en Crimée,
loin des sanctions très symboliques
prises pour marquer le
coup, il est un champ de bataille où la guerre bat son plein. C'est le terrain idéologique qui avait été déserté, faute
de combattants, depuis l'effondrement de l'URSS et la victoire par K.O. du capitalisme sur le communisme soviétique.
Pendant
un temps, avec le triomphe des démocraties
et le ralliement de la Chine à l'économie
de marché, le libéralisme était devenu la nouvelle religion
planétaire. Francis Fukuyama pouvait
annoncer « La fin de l'histoire
». L'Occident, conduit par l'hyper-puissance
américaine, pouvait rêver d'imposer son modèle de société à l'ensemble de la planète. Mais depuis que
la crise a montré les faiblesses des démocraties et que les pays émergents relèvent la tête, la compétition a repris aussi dans le domaine
des idées.
Le
Kremlin n'a pas, comme au
temps des Soviets, d'ambition universaliste.
Il ne cherche pas à restaurer
le totalitarisme de Staline.
Vladimir Poutine n'a pas la
prétention de proposer un système
de gouvernement pour faire le bonheur
de l'humanité. Mais le
maître du Kremlin s'est construit
une doctrine très marquée, faite d'un mélange de nationalisme grand Russe et de nostalgie à l'égard de l'« épopée » soviétique, la grande guerre patriotique, l'empire des pays frères, la Russie
des Russes...
Tout cela
est enrobé dans une prétendue
défense des valeurs chrétiennes contre la décadence morale de l'Occident.
Le
concours de chansonnettes
de l'Eurovision, qui a vu, ce
week-end, la victoire du travesti
autrichien Conchita Wurst, aura été la première passe d'arme plutôt
comique de cette nouvelle
guerre froide idéologique.
Le côté outrancier du
spectacle, censé chaque année célébrer l'unité des nations européennes,
ne pouvait mieux servir la propagande des
lieutenants de Poutine. Pour Dimitri
Rogozine, vice-premier ministre
russe, le sacre par l'Eurovision de la drag-queen anticipe
« l'avenir de l'Europe », où il n'y
a déjà plus « ni hommes, ni femmes, mais seulement ça...», selon la pensée profonde de Vladimir Zhirinovsky. Les commentaires
sont aussi extravagants que les applaudissements de tous ceux qui ont voulu
voir dans la consécration de la diva barbue un
triomphe de nos libertés fondamentales.
A
la différence de la vraie
guerre froide et de la propagande
soviétique, celle de Poutine n'a pas besoin du relais servile des partis communistes occidentaux. Il lui suffit de marquer des points directement auprès d'une large part de la population qui ne se pâme pas devant les vocalises de Conchita Wurst et ne voit pas dans la défense du mariage homosexuel ou dans la publicité
des comportements sexuels
les plus débridés une priorité de notre civilisation aux prises avec d'autres problèmes plus pressants.
Dans la plupart
des pays qui vont voter le 25 mai
pour le Parlement européen,
les partis europhobes, de droite ou de gauche, manifestent leur sympathie pour le nationalisme de
Vladimir Poutine. Cela flatte leur nostalgie de l'homme providentiel et ne semble pas troubler leur prétendu patriotisme.
Au nom de ce même nationalisme mal assumé, un antiaméricanisme, toujours diffus dans la société française, refait surface.
Il
en est de même en Allemagne, où l'extrême
prudence d'Angela Merkel est
confortée par les sondages
: une majorité de ses concitoyens est défavorable à un durcissement des sanctions contre
le Kremlin et penche plutôt
pour que Berlin retrouve une place incontournable, à mi-chemin entre la Russie et l'Occident. Il y a là un écho des débats de la guerre froide sur la détente et les prémisses de nouvelles controverses entre alliés dont Vladimir Poutine saura profiter.