Zone euro: Ancien ou Nouveau Testament?

 

La crise de la zone euro est due à un déficit de gouvernance économique : une monnaie unique, dix-sept politiques économiques et budgétaires souveraines, cela ne peut pas marcher longtemps. Les marchés l’ont compris avant les politiques : ils estiment que sans la création des « États-Unis d’Europe », il faudra en revenir aux monnaies nationales. Nicolas Sarkozy l’admet depuis plusieurs mois en privé : seul un saut fédéral permettra de sauver l’euro, même si sa réflexion sur le sujet n’est pas encore très élaborée (en particulier sur le plan institutionnel).

 

Le « cercle des économistes », une association qui réunit une trentaine d’économistes français de haut niveau, a lancé, hier, un appel solennel en ce sens. « La crise de la dette souveraine que traverse l’Europe nécessite une réactivité totale. Cela n’est pas le cas aujourd’hui. L’Europe s’est certes montrée très engagée, mais sa capacité à réagir n’est ni assez rapide, ni assez efficace. D’où l’exigence d’avoir une personnalité en charge et, pour cette raison, nous soutenons la proposition du président de la BCE d’un ministre des finances européen ». Le cercle des économistes plaide aussi pour la création « d’eurobonds », c’est-à-dire une dette publique de l’Eurozone. Lorenzo Bini Smaghi, membre du directoire de la BCE, a d’ailleurs appelé, vendredi, de Grèce, à l’émission d’eurobonds : « les États membres pourraient transférer leurs droits d’émission à une autorité supranationale, jusqu’à un certain point qui serait fixé par le Conseil » des ministres. « Avec un tel système, jamais la Grèce n’aurait été en mesure de cacher ses déficits ou de s’endetter autant qu’elle l’a fait en 2009 et au cours des années précédentes ».

 

Indépendamment de cet appel, pour la première fois de son histoire, le MEDEF s’est d’ailleurs prononcé en faveur d’une « forme de fédéralisme économique » devant l’urgence de la situation : Laurence Parisot a appelé vendredi la zone euro à avoir « une approche commune sur les budgets, sur la monnaie, sur la gestion de la dette ».

 

Cette idée d’un saut fédéral est largement partagée en Europe, y compris dans un pays comme la Pologne qui n’est pas dans la zone euro. Sauf en Allemagne, et c’est bien le problème. Berlin freine des quatre fers dès qu’on lui parle de fédéralisme. C’est elle qui a ainsi exigé que le Fonds européen de stabilité financière (FESF) ne puisse être activé qu’en dernier ressort et après un vote unanime des États, ce qui retarde sa mise en œuvre et l’empêche de jouer un rôle préventif. Pis : la droite allemande veut que chaque parlement national vote chaque plan d’aide, ce qui risque de rendre largement ineffectif et le FESF et le futur Mécanisme européen de stabilité (MES). Comme l’a souligné Bini-Smaghi, « plus on reporte la prise de décision, plus il sera difficile de la faire accepter en fin de compte, car les mesures nécessaires à l’apaisement des marchés et à la restauration de la stabilité doivent être encore plus fortes ». Pour lui, la règle de l’unanimité est « clairement un défaut ».

 

Or, cette crise a montré que rien ne pouvait se faire sans et encore moins contre l’Allemagne au sein de la zone euro. « Or, l’élite allemande veut construire l’Europe en appliquant l’Ancien Testament (le pêché originel, œil pour œil, dent pour dent), alors qu’elle ne peut se faire qu’avec le Nouveau Testament (le pardon des péchés et l’amour mutuel) », résume ironique Ulrike Guérot qui dirige le bureau de l’ECFR à Berlin et vient de publier, avec Mark Leonard, une étude intitulée : « the new german question : how Europe can get the Germany it needs ». Dans le cas de la crise grecque, cela passe, selon elle, par le rachat de la dette grecque par la zone euro, ce qui permettra d’effacer l’ardoise grecque et de remettre ce pays à flot : « nous avons pêché ensemble, il faut nous pardonner mutuellement ». « Si l’Allemagne poursuit sur la voie de l’Ancien Testament, l’Europe ne s’en relèvera pas » : or, pour l’instant, Ulrike Guérot ne voit aucun « Messie »  qui pourrait faire convertir l’Allemagne.