Obama entre Copenhague et le Capitole
Laure
Mandeville
09/12/2009
Coincée
entre les déçus et septiques, la position du président
américain paraît de plus en
plus difficile à tenir.
Vu d'Europe,
beaucoup en sont déjà à présenter
Barack Obama comme un
Gulliver empêtré, prêt à abandonner
ses promesses de campagne sur le changement climatique pour cause
de guerre d'Afghanistan et de corps-à-corps quotidien avec le Congrès. «Trop peu, trop
tard», protestent les déçus du président américain à propos de ses
engagements à réduire les émissions
de CO2 de 17% d'ici à 2020 (ce
qui correspond à 5%
par rapport à 1990, l'année de référence
des Européens). Dans les
couloirs du Sénat ou les bassins industriels déprimés de l'Amérique, d'aucuns présentent au contraire
Obama comme un dangereux «ayatollah de l'économie
verte», prêt à brader l'appareil productif du pays au
nom de l'environnement. «Trop,
trop vite», réplique ce
camp-là. C'est dire combien la position du chef de l'exécutif
américain est
difficile. D'autant que le scepticisme monte dans la population sur les causes du réchauffement
de la planète.
Pourtant, Barack Obama continue de jouer sa partie
avec ruse et détermination. Après avoir
obtenu de ses partenaires chinois et indien une promesse
d'engagement plus précis sur
les émissions de gaz carbonique condition jugée
indispensable par le Congrès au vote d'une loi sur
le climat en 2010
, il vient d'annoncer sa participation à la clôture de la Conférence de Copenhague en même temps que ses homologues étrangers, au lieu de se contenter
d'une brève apparition au
début des travaux, sur le chemin d'Oslo, où il reçoit
ce jeudi le prix Nobel. «Il montre qu'il
veut s'impliquer vraiment», note l'expert Thomas Kleine-Brockoff, chercheur au
German Marshall Fund, qui parle d'Obama
comme «du président le plus
“vert” que l'Amérique ait jamais eu». «Il ne peut rattraper
en huit mois ce que Bush n'a
pas fait en huit ans», insiste-t-il. Thomas Kleine-Brockoff s'agace de voir les Européens sous-estimer le pouvoir de blocage du Congrès, avec lequel le président doit composer à chaque pas.
La loi climat, que la Chambre des représentants a votée en juin, est toujours
bloquée au Sénat, où elle pourrait
être enterrée, les sénateurs redoutant le coût économique du projet à court terme. «Barack
Obama n'est ni
un roi ni un dictateur, mais le président d'une démocratie dont les contre-pouvoirs fonctionnent», dit Thomas Kleine-Brockoff.
Conscient des limites politiques que la puissance du Congrès pose à ses
ambitions «vertes», Barack Obama a sorti lundi de sa poche une
carte importante. L'Agence fédérale pour la protection de l'environnement
(EPA) a annoncé qu'en
accord avec une décision de
la Cour suprême datant de 2007, elle considérerait désormais les émissions de gaz carbonique comme «dangereuses» pour la santé publique.
«La loi de 2007 nous donne,
non seulement le droit, mais l'obligation de légiférer pour écarter ce danger», a expliqué
la directrice de l'EPA,
Lisa Jackson. Une obligation d'action qui pourrait s'exercer au risque de circonvenir le Congrès, si celui-ci
tarde à se prononcer sur la loi climat.
«Le message au Congrès est clair comme du cristal, bougez», a commenté le sénateur démocrate John Kerry.
Pour l'équipe Obama, il s'agit de mettre les sénateurs sous pression, en montrant aux
participants de Copenhague la résolution
de l'Amérique. Les réactions indignées,
qui fusent de la colline du
Capitole, laissent toutefois penser que le président n'est pas au bout de ses
peines. «La politique du bâton ne va pas marcher, le Congrès pourrait riposter», a prévenu un conseiller du sénateur Richard Lugar. La Maison-Blanche
continue d'ailleurs de penser que le «meilleur moyen d'agir est d'obtenir
une législation au Congrès», a expliqué le porte-parole présidentiel Robert
Gibbs. «Une vraie bataille de pouvoir est en cours, note Thomas Kleine-Brockoff. Toute la
question est de savoir quel rôle Copenhague
y jouera. Si les États émergents s'investissent et qu'un consensus se dégage, le Congrès sera obligé d'en tenir compte.»