Mauvais service rendu à Obama
Yves
Thréard
09/10/2009
L'éditorial d'Yves Thréard du 10 octobre.
Faut-il supprimer le prix Nobel de
la paix ?
La question est posée après son attribution, vendredi,
à Barack Obama. Cette décision,
qui suinte le politiquement
correct, est une fausse bonne
idée.
Certes, cette
récompense, contrairement
aux Nobel scientifiques ou
de littérature, ne couronne
pas le fruit d'une longue recherche
ou l'œuvre d'une vie. Elle est,
en principe, destinée à une ou plusieurs
personnalités contribuant
au rapprochement des peuples, à la propagation des droits de l'homme et de la liberté.
Considérations qui s'appliquent sans doute au nouveau président américain. L'homme incarne la rupture, après
l'ère Bush. Son verbe est pacifique : à l'endroit des musulmans (discours du Caire), en faveur du désarmement nucléaire (discours de Prague). Ses projets politiques sont empreints d'humanité :
la réforme de la santé aux États-Unis.
Ses ambitions internationales
cultivent la réconciliation : en Irak, en Afghanistan, au Proche-Orient. Enfin, l'homme incarne la nouvelle Amérique, celle
qui porte à sa tête un Noir, quarante ans après l'assassinat de Martin
Luther King.
N'était-ce pas d'ailleurs le peuple américain lui-même qu'il convenait à ce titre de récompenser ? Lui a osé
braver ses préjugés passés et présents pour élire un chef issu d'une de ses minorités.
Lui a envoyé un signal concret, exemplaire, au reste du monde. Ce n'est pas si fréquent, même dans les démocraties les plus avancées.
Obama a de belles intentions,
mais suffisent-elles à en
faire un grand président ? Certainement pas. Il n'occupe
sa fonction que depuis dix
mois. Sa route s'annonce longue et semée d'embûches. Rien ne dit qu'il ne soit
pas renvoyé à la fin de son mandat
comme l'un de ses prédécesseurs
démocrates, Jimmy Carter, Nobel de la paix lui aussi.
Mais en 2002,vingt-deux ans après sa retraite
de la Maison-Blanche.
Obama, lui,
est en plein
exercice. Si ce
prix a encore une valeur, il ne peut que
compliquer sa tâche, contraindre son action, l'exposer à tous les chantages. Et si le nouveau Prix
Nobel devait dénouer l'imbroglio iranien par la force ? En politique,
la fin justifie les moyens.
Pour vaincre, les beaux principes, les grandes idées doivent souvent
s'accommoder, en coulisses, d'un inavouable
cynisme et de certains compromis.
L'Académie Nobel, qui a couronné
Arafat en 1994 mais ignoré
le Mahatma Gandhi, ne rend pas service vendredi à
Barack Obama.