Michael Jackson, l'homme à l'envers
Par Yann
Moix
30/06/2009
Michael Jackson est, ainsi,
un être à la chronologie inversée. Mais ce n'est
pas la seule raison pour laquelle
il est un homme à l'envers. En effet, l'aspect «reverse» de sa vie se traduit
également dans ses rapports avec la célébrité. Michael
fut une star mondiale à l'heure où les autres rentrent
tranquillement à la maison boire leur chocolat
chaud et faire leurs devoirs. Il a donc commencé son existence par un maximum de célébrité, ce qui, là encore, correspond à un processus
inversé :
il faut habituellement
des années et des années
pour acquérir une gloire planétaire, une notoriété mondiale.
Mick Jagger, par exemple, a
été obligé de terminer ses
études d'économie avant de devenir Mick Jagger. Quand elle avait vingt ans, personne
ne connaissait Madonna. Tandis que
lorsqu'il avait vingt-cinq ans, cela faisant vingt
ans que le monde entier connaissait Michael
Jackson. Là encore, ayant
commencé par la fin, Michael n'aura
eu d'autre choix que de terminer
par le début : de là son
obsession, à mi-vie, de l'anonymat, du retrait, de la réclusion. Il a voulu s'effacer
du tableau de la célébrité. Il
a voulu finir, non seulement en n'étant pas célèbre,
mais en ne l'ayant jamais été. Il
aurait rêvé, non pas simplement de n'être plus reconnu, mais de n'être plus jamais reconnaissable. (Avouons
qu'il avait presque réussi.)
Il est
évident que nous sommes là au cœur
même de sa volonté de «changer de couleur» :
dans un monde, non seulement
de Blancs, mais blanc tout court, façonné par et
pour les Blancs, se blanchir
fut une façon
de se fondre dans le décor,
de disparaître des regards, de n'être
qu'un flocon sur une étendue
neigeuse. Jagger, Presley ont passé toute leur vie à travailler dur pour devenir des Noirs ; à l'envers de tout, Michael
aura tout fait pour devenir un Blanc.
Ce qui fascine d'ailleurs dans cette inversion, dans ce
passage voulu de la célébrité
à l'absence de célébrité, c'est que celle-ci
est devenue tellement monumentale que croiser Michael Jackson dans la rue (dans une rue de Disneyland) était devenu la preuve que cela ne pouvait
être le vrai. Cette célébrité hors norme lui aura finalement servi d'anonymat. Qui d'autre, dans l'Histoire
de l'humanité, aura pu expérimenter cela, que d'être sempiternellement pris pour un sosie, que d'être beaucoup trop vrai pour se ressembler vraiment ?
On s'étonne que Michael
Jackson fût pauvre à la fin
de sa vie : rien de plus logique, puisque milliardaire à l'adolescence, il fut là encore la victime d'une inversion de tout parcours humain traditionnel. Son but était forcément de finir ses jours
comme ils auraient dû commencer, dans le dénuement. Là encore, il
a réussi.
Il a réussi
ces trois choses inouïes à partir de trente-cinq ans : devenir enfin un enfant, devenir enfin anonyme,
devenir enfin pauvre. Mais enfant à la manière d'un adulte, anonyme grâce à sa notoriété,
pauvre à l'aide de sa fortune (sa façon de s'endetter n'est permise qu'aux
fortunes colossales). Il se
sera donc offert à la force
du poignet, et en déployant
des moyens démesurés, un
point de départ naturel. Il y sera parvenu par une débauche d'artifices. Et de feux d'artifice.
Même sa mort nous apparaît comme une naissance à l'envers : décédé d'avoir
pris trop de médicaments pour vivre.
Oui, un homme
à l'envers, qui semblait aller de l'avant. C'est le principe même de cette danse
qui le rendit célèbre : le
«moonwalk». C'est cela, une révolution, c'est avancer vers le révolu. C'est avancer vers l'arrière. En ceci,
Michael Jackson aura révolutionné non seulement la musique, mais son époque. Et aujourd'hui
que la terre entière le pleure, musulmans, juifs, athées et chrétiens, d'une larme identique
et universelle, impeccablement
planétaire, on se réjouit
au moins d'une chose : de ce que
les peuples peuvent souffrir d'une même chose. Michael nous aura apporté,
avec ces envers à l'endroit, quelque chose d'inattendu :
la première paix mondiale.