Jackson, icône tragique dela mondialisation

 

L'éditorial de Sébastien Le Fol.

 

26/06/2009

 

«Nous avons tous un Michael Jackson en nous», a déclaré vendredi le nouveau ministre de la Culture français, Frédéric Mitterrand, qui s'exprimait pour la première fois depuis sa nomination. Noirs et Blancs, jeunes et vieux, Occidentaux et Orientaux, tout le monde, en effet, a dans la tête un tube du «roi de la pop». Un chiffre suffit à rendre compte de l'ampleur planétaire du phénomène Jackson : ses centaines de millions d'albums vendus, dont cent pour le seul Thriller, sorti il y a vingt-cinq ans. Aucun artiste ne peut rivaliser avec lui sur la scène internationale.

 

Cette aura mondiale ne suffit pas à expliquer les manifestations d'idolâtrie auxquelles on assiste depuis sa mort. L'histoire de Michael Jackson déborde largement le cadre musical. Cet enfant qui refusait de grandir, version rock du syndrome de Peter Pan, s'est hissé au rang de mythe moderne. Un mythe paradoxal et terrifiant. Dernière star du XXe siècle - il fut la vedette du vinyle et du CD et non celle d'Internet -, il est aussi la première icône de la mondialisation du XXIe siècle.

 

Réconciliant musique noire et musique blanche, soul afro-américaine et pop internationale, ses chansons constituent une bande-son cosmopolite et éclectique, assimilable par le plus grand nombre. Premier chanteur noir à apparaître sur la chaîne de télévision musicale MTV, Jackson avait compris avant tout le monde les rouages de la standardisation culturelle. Ses clips, outils de communication massive réalisés par les plus grands noms du cinéma, le propulsèrent dans tous les foyers. Tandis que, dans les boîtes de nuit, ses rythmes électriques devenaient le plus sensuel des langages universels.

 

En même temps, il demeura toujours une icône américaine, avec ses pantalons courts à la Chaplin et sa propriété baptisée «Neverland», qui évoquait le «Graceland» d'Elvis Presley. Ne disait-on pas également qu'il était «un Disneyland à lui tout seul» ? Mort dans la fleur de l'âge, il rejoint Marilyn Monroe, James Dean ou encore John Fitzgerald Kennedy dans le panthéon des légendes américaines terrassées.

 

On se souviendra également que, dans les années 1980, il fut le maître d'œuvre de concerts de charité pour les enfants d'Éthiopie réunissant des artistes du monde entier. La philanthropie médiatique était née.

 

Mais ce qui nous fascine le plus chez lui, c'est cette créature hybride, «génétiquement modifiée», à laquelle il avait fini par ressembler. Fuyant ses racines, poussant la négation de lui-même jusqu'au paroxysme, il s'était composé un personnage totalement indéterminé, ni homme ni femme, ni adulte ni enfant, ni noir ni blanc : mi-ange, mi-monstre. Il faisait songer à ces morts-vivants apparaissant dans son plus fameux clip, Thriller. Cet être tellement irréel préfigurait le monde virtuel dans lequel nous évoluons aujourd'hui. Le pas de danse qu'il avait inventé, baptisé  «moonwalk», donnait l'étrange impression qu'il ne touchait pas terre. Ses fans l'ont bien compris : ils le prennent pour un dieu.