Désarmement : l'Élysée s'agace des «leçons» d'Obama
Alain Barluet
09/04/2009
XCLUSIF - Une note destinée à Nicolas Sarkozy minimise
la portée du discours prononcé à Prague par le président
américain, dimanche
dernier.
Paris s'agace
de l'enthousiasme planétaire
déclenché par le discours prononcé à Prague, dimanche
dernier, par Barack Obama sur le désarmement.
Certes, les initiatives qu'il a
annoncées ont été saluées officiellement
par un communiqué du Quai d'Orsay. À l'Élysée, on juge «positives à 100 %» les propositions du président américain en vue de l'élimination des armes nucléaires.
Mais dans le même
temps, on redoute que l'effet d'image extrêmement flatteur obtenu par le nouveau chef de la Maison-Blanche
en vantant la dénucléarisation
totale («Global Zero») ne renforce
la perception d'une France crispée
sur sa force de frappe. À
Paris, en tout cas, on n'entend pas «recevoir des leçons des Américains» en matière de désarmement, un processus auquel on estime avoir largement
contribué.
Introduisant un bémol dans l'obamania ambiante, la cellule diplomatique
de l'Élysée vient de produire une note à l'intention de Nicolas Sarkozy qui minimise
la portée et le caractère inédit du discours de Prague en
des termes assez abrasifs. «On est dans le déclaratoire. Il ne s'agit pas d'un discours sur la politique de sécurité américaine mais d'une version export avant tout destinée à améliorer l'image des États-Unis», analyse-t-on dans l'entourage de Nicolas
Sarkozy. «Laissons la théologie
à plus tard et travaillons sérieusement au désarmement», déclare-t-on de même source.
Selon le décryptage effectué par l'Élysée, la vision développée dans la capitale tchèque par Barack Obama
«un monde sans armes nucléaires»
masque en fait les retards pris par Washington dans le chantier «gigantesque et financièrement très coûteux» du désarmement. En outre, relève-t-on, «la plupart de ces propositions reprennent la politique de George
Bush».
Jugements sévères
Ainsi, les négociations pour le renouvellement du traité Start sur la réduction des armes stratégiques (10 000 têtes environ côté américain, autant côté russe) sont
au point mort, même si la rencontre entre Barack Obama et Dmitri Medvedev, en marge du G20 à Londres, permet d'espérer une relance des discussions.
Même relativisme sur le traité d'interdiction
complète des essais nucléaires (Tice), signé par
Washington, mais dont la
ratification a été rejetée par le Sénat américain. La France, elle, a renoncé aux essais nucléaires en 1998. «Le temps est
venu de bannir définitivement les essais d'armes nucléaires», a dit Barack Obama devant les Praguois. «Merci beaucoup, s'irrite-t-on
à l'Élysée, mais en l'occurrence ce sont les États-Unis qui font problème.» Sur une troisième question clé, l'arrêt de la production de matières
fissiles, «George Bush avait
déjà déposé un projet de traité devant la Conférence du désarmement», dit un conseiller à l'Élysée. De tels sites de
production existent toujours aux États-Unis
et en Chine notamment, tandis
qu'on met en regard, à Paris, le démantèlement
des usines de Marcoule et Pierrelatte.
L'appel du président américain à «consolider» le traité de non-prolifération (TNP), qui doit être réexaminé l'en prochain, laisse tout aussi froid.
«Le renforcement des inspections et la création d'une banque internationale d'approvisionnement en combustible civil sont des idées évoquées depuis longtemps», commente-t-on à l'Élysée. Dans
son discours, le président américain «demande des sanctions réelles et immédiates pour les
pays qui enfreignent les règles».
Les textes existent déjà, objecte
un expert du dossier. «En 2004 déjà, lors du sommet du G8 de Sea Island, la décision
avait été prise de suspendre la coopération avec les pays qui violent leurs
engagements», note l'un d'eux.
Le dernier volet évoqué par Barack Obama concerne la lutte contre le terrorisme nucléaire. À Paris, on doute de
la promesse américaine «de sécuriser dans les quatre années à venir tous les matériaux nucléaires sensibles dans le monde entier». Et l'on attend, sur ce thème,
la conférence qui doit se tenir l'an prochain aux États-Unis, une des seules annonces portant la marque originale de Barack Obama. Un sujet
que celui-ci connaît bien puisqu'en
tant que sénateur, il s'était
personnellement impliqué,
au côté du républicain
Richard Lugar, en faveur de la sécurisation
des arsenaux nucléaires de l'ex-URSS.