Barack Obama, entre
intuition et génie
La chronique
d'Alexandre Adler.
16/01/2009
Qu'il est
doux pour quelqu'un qui exerce le difficile métier de prévoir l'avenir immédiat, de pouvoir enfin prédire un grand événement qui est déjà programmé depuis des mois, l'investiture de Barack
Obama. Grand événement à n'en
pas douter, en effet, que l'investiture du premier président noir des États-Unis, du
second président, après Abraham Lincoln, provenant de l'État industrialiste qu'est l'Illinois, et aussi du second président, mais après Franklin
Roosevelt cette fois-ci, à inaugurer son mandat au cœur d'une dépression
économique qui indique par
son ampleur même l'inévitable changement de «paradigme», ou plus simplement la grande mutation d'une civilisation économique et sociale parvenue à ses limites historiques.
Tout cela,
on le lit très bien dans ce livre collectif et anthologique, publié aux Éditions Odile Jacob, et qui s'intitule tout simplement Le changement, nous pouvons y croire. Signé du seul Barack Obama, ce livre retrace à travers ses principaux discours, tout le chemin de la campagne électorale de 2008 mais aussi dans
des textes programmatiques
plus fouillés qui résultent
d'une élaboration
collective, on y discerne très
clairement l'ambition civilisatrice du 44e président. Un grand homme politique,
c'est toujours quelqu'un qui a d'abord l'intuition du changement inévitable et qui, sur cette intuition à laquelle il se soumet, bâtit
ensuite une sorte d'optimisation de l'inévitable, laquelle va dans le sens
de ses convictions fondamentales.
Dans le cas Obama, l'intuition est bien là : celle d'une
crise globale et irréversible d'une matrice adoptée par la classe dirigeante américaine de longue date, c'est-à-dire
à l'avènement de Ronald Reagan en 1980, là encore au cœur d'une grande crise,
mais celle-là géopolitique. Le programme reaganien consista donc à former une coalition extérieure purement politique, incluant l'Europe, la Chine et le Japon et,
dans le même temps, sur le plan intérieur, à démanteler les structures fondamentales
d'un Parti démocrate déclinant. En échange, la fin du corporatisme syndical fut effectivement compensée par le plein-emploi, fondé sur les services avec des salaires
médiocres, et la promesse d'une propriété immobilière pour tous.
Aujourd'hui, tous les éléments issus de cette matrice sont
tombés en panne : une armée
technologique gigantesque qui ne sait
pas très bien mener une guerre révolutionnaire sur un terrain où l'infanterie, le renseignement, la capacité de reconstruire une société ont remplacé
la haute technologie, le nucléaire
et même les porte-avions. L'agressivité de l'islamisme, plus
diffuse que celle
du soviétisme, n'a nullement été vaincue.
La progression des emplois de service est désormais bloquée
tout à la fois par les inégalités
de la distribution des revenus et la concurrence
accrue des pays émergents. Quant à l'accès à la propriété, il a tout simplement
donné naissance au problème
des subprime.
Le défaut
des clintoniens, dans cette campagne qui leur semblait totalement
acquise, repose sur deux erreurs stratégiques,
commises aux deux extrémités de la chaîne : d'un côté, Hillary Clinton a joué les mêmes cartes que
Martine Aubry aujourd'hui
en France, un appel de gauche à unifier toutes les corporations et les syndicats
sur un catalogue de revendications,
et de l'autre, un message subliminal, qui jaillit tout naturellement des huit ans de présidence
Clinton, à savoir que les démocrates
ne changeraient pas grand-chose au modèle existant, mais aboutirait à une sorte de «reaganisme
à visage humain» .
Le génie
de Barack Obama aura été d'emblée
d'inscrire sa
candidature dans un double refus,
celui des syndicats et des
corporations et celui de la prolongation du modèle reaganien. Pour floue qu'ait pu
être cette ambition, elle rencontrait néanmoins une réalité
de plus en plus fortement ressentie
jusqu'à l'explosion finale
du 15 septembre 2008, mais aussi la volonté des classes moyennes d'un monde de hautes
technologies de donner naissance à un programme fondé davantage sur l'éthique
que sur la revendication, sur la mutation
des valeurs plutôt que sur la redistribution immédiate et insouciante.
C'est ce programme
original qui aboutissait, comme
dans une conclusion bien tournée, à faire d'un Afro-Américain, issu tout à la fois de Harvard et du travail social du South Side de
Chicago, l'incarnation d'un nouveau paradigme, où les Noirs ne s'organisent plus comme une corporation communautariste, mais se présentent au contraire
en vecteur performant d'une nouvelle politique qui s'adresse à tous. La capacité qu'a eue
ainsi le nouveau président
de vaincre successivement
les deux meilleurs et plus populaires candidats qui lui étaient opposés,
l'un par le vieux Parti démocrate, l'autre par le Parti républicain, prouve assurément son génie politique, qui sera encore renforcé
par le choix très judicieux de son équipe gouvernementale.
Reste maintenant à gérer non pas seulement le
passage à l'action, mais
les points les plus faibles de son programme :
un protectionnisme rampant et une
défiance envers les forces armées qui reposent sur une sous-estimation
des dangers présents.