Obama dans
le sillage de Bush
La chronique
d'Alexandre Adler du 8 novembre.
Comment être
original lorsqu'un tel tremblement de terre affecte l'ensemble de la planète, peut-être faudra-t-il la rebaptiser «planète Obama» ? Sur un point, l'unanimité s'est faite, depuis
John McCain jusqu'à l'extrême
gauche européenne, le péché
ségrégationniste de l'Amérique
a enfin été purgé. C'est la raison pour laquelle, au-delà de tout ce que l'on
peut penser d'Obama, de l'homme, du programme, ou plutôt
de son absence, on ne peut que
rendre hommage au courage
de l'homme politique et au
talent exceptionnel de l'orateur
qui aura permis ce miracle.
Mais à condition toutefois
d'être équitable : l'ascension d'un président noir à la tête des États-Unis a été voulue tout d'abord par une pléiade de scénaristes hollywoodiens et blancs, qui n'ont cessé depuis vingt
ans de confier aux Noirs
des rôles de chefs, de responsables,
de pères, en un mot de leur
faire occuper la place symbolique
que la société américaine profonde n'avait cessé de leur dénier.
Ensuite sont venus
des conservateurs éclairés
qui, conscients de l'ampleur
du problème, ne voulaient
pas se voir imposer, par un communautarisme
régressif des démagogues de
rue, des tribuns antisémites
à la Jesse Jackson, des intellectuels et artistes haineux à la manière du cinéaste Spike Lee ou de l'historien de Harvard Cornell West.
Pour conjurer la montée en puissance de ces chevaliers à la triste figure, il valait mieux
et vite sélectionner des
talents noirs exceptionnels dont
l'ascension serait due à un
mérite, certes reconnu un peu plus précocement. Ce sont à des chefs militaires, puis à des politiques tels que Kissinger et Carlucci, le sauveur
de la démocratie portugaise,
et de Soares en 1974, que l'on doit la promotion de Colin
Powell, d'abord à la tête
des armées américaines, puis, par la volonté du clan Bush
unanime, à la tête de sa diplomatie en l'an 2000, où il
remporta malgré tout quelques succès exemplaires au Pakistan, en Chine et en Corée.
Puis vint Condie Rice, dont Bush voulut faire le second chef de sa
diplomatie et qui étonna le
monde par son mélange de charme, de fermeté et de sagesse au département d'État. La même sagacité s'est
retrouvée dans le secteur privé, où de très grandes
sociétés comme Time Warner,
American Express, Merrill Lynch ont tour à tour vu
des Africains américains
les diriger, dans l'ensemble à la satisfaction générale.
Pour mettre
les points sur les i, on ne
peut pas effacer les mérites
de l'aile progressiste du Parti républicain, de George W.
Bush en particulier, quand c'est l'organisation de ce courant ascensionnel qui aura permis, in fine, à Obama de déployer
son exceptionnel talent. La présidence
Obama s'ouvre dans un climat détestable,
avec des problèmes financiers et stratégiques
non résolus et de grande ampleur. Mais est-ce
une raison pour, sans grande noblesse ni intense charité, s'en prendre
à George W. Bush ainsi qu'on
le fait aujourd'hui. L'ancien
président m'apparaît plutôt, comme bien
des personnages qui incarnent
une période de transition, une sorte de dieu
Janus qui incarne tour à tour le passé et l'avenir, qui demeurent chez lui inextricablement mêlés.
George W. Bush, certes, aura multiplié des réactions sectaires et étroites qui ont contribué à accélérer l'érosion de l'hégémonie républicaine, installée par Reagan en 1980 : citons
tour à tour son refus de toute
union nationale, même avec
des démocrates très patriotes et très modérés au lendemain du 11 Septembre ; son agacement immodéré à l'égard d'une Russie poutinienne
qui lui proposait initialement une sorte d'alliance ; son
inattention très dommageable
à l'équilibre interne de la société
américaine, et pour finir
la prolongation insupportable de l'État de non-droit instauré à Guantanamo, qui eut l'effet durable de
transformer des coupe-jarrets et des fanatiques sanguinaires en des victimes d'une oppression dont on oublia bien vite qu'elle
faisait suite à un crime abominable.
Tout cela
est hélas vrai, mais on oublie
un peu vite d'instruire à décharge et de reconnaître le grand courage du président
à l'heure de l'épreuve, sa détermination à porter le fer au cœur du dispositif ennemi, en Irak ;
son engagement dépourvu de cynisme
au profit de la démocratie moyen-orientale,
lequel aura fait basculer l'Irak dans le camp iranien et la Palestine dans les
mains du Hamas.
Balourdises apparentes, cette stratégie démocratique, très wilsonienne, a commis des erreurs mais aussi
semé des espérances nouvelles en Orient. Dans l'ultime phase de sa présidence, Bush a commencé enfin à marginaliser les Rumsfeld
et les Cheney qui l'avaient poussé
à la faute à de nombreuses reprises, au profit d'un général
Petraeus et d'un ministre de la Défense,
Bob Gates, qu'Obama lui-même
envisage de maintenir à son poste.
Il ne faut
donc pas traiter Bush en paria :
ce dernier comme son successeur, Barack Obama, sont aussi le produit d'un processus historique qui les dépasse, celui d'un repli des États-Unis sur son espace vital et d'un approfondissement social de la démocratie
américaine dont on dira rétrospectivement qu'ils ont commencé
l'un et l'autre au moment même où Bush entamait
son second mandat en 2004.