Russie-Occident : sortir de la crise par le haut
30/08/2008
La chronique
d'Alexandre Adler du 30 août.
La situation générale des rapports de la Russie
et de l'Occident se dégrade d'heure en heure. Tandis que,
contrairement aux accords signés
entre Nicolas Sarkozy et Dmitri Medvedev, les troupes russes continuent d'occuper des portions du territoire
géorgien, hors Abkhazie et Ossétie, les rumeurs d'un affrontement possible entre Russie
et Ukraine s'amoncellent.
Tout le monde parle de «guerre froide», mais on pense plutôt
à une sorte de guerre de sécession, qui finirait à se jouer après coup, près de vingt ans après l'explosion de l'Empire soviétique. Lorsque l'on voit les présidents
des trois États baltes (Pologne, Ukraine et Géorgie) manifester leur solidarité face à Moscou, on a plutôt peur du déclenchement d'un engrenage fatal entre deux
portions relativement égales
de l'ancien Empire soviétique
que d'une volonté délibérée de nuire de part et d'autre.
Pourtant, il
est dans la nature des
situations extrêmes de pouvoir
produire des effets excessivement négatifs ou excessivement positifs, selon l'art et l'habileté que les politiques savent y apporter. En 1914 en réalité dès 1912 , l'explosion des
Balkans et de l'Empire ottoman a provoqué
la guerre mondiale, mais, trente-six ans auparavant, la crise de 1878
entre Russie et Turquie,
qui n'était pas moins aiguë, avait permis
au contraire le congrès de Berlin, et par le triomphe des idées modérées de Bismarck, l'assurance
d'une paix continentale qui se prolongera sur plusieurs décennies,
la «Belle Époque».
Ce congrès de Berlin salvateur est
aujourd'hui possible et, par une
très étrange conjonction de facteurs, c'est la France qui peut en prendre l'initiative. L'Amérique, en effet, est tout à la fois
paralysée par son élection présidentielle et par l'accumulation
des erreurs qu'elle a commises vis-à-vis de la Russie depuis 2001. L'Allemagne, de tous les pays de l'Union le plus proche à tous égards
de la Russie, est
pourtant embarrassée par le
déclin programmé et inévitable de la grande
coalition. La France, grâce à la nouvelle politique extérieure de Nicolas
Sarkozy, a rassuré Washington sur
sa loyauté
d'alliée, encore tout récemment
sur l'Afghanistan.
En même
temps, à aucun moment Sarkozy n'a
lâché ni les Polonais au sein du Conseil européen ni les Géorgiens au plus fort de
la crise, et a donc la réputation d'un défenseur des libertés de l'Europe de l'Est. Dans le même temps, parce qu'ils tiennent la France pour leur interlocuteur fondamental en Europe, parce que Sarkozy a déjà proposé lors de sa première rencontre avec Medvedev un compromis
acceptable pour les Russes, et parce
que la France s'engage de
plus en plus dans des projets
considérables avec la Russie,
les Russes seraient prêts à discuter avec les Français d'un règlement de la crise qui se ferait essentiellement entre Européens.
Ici commence la chirurgie fine
: les Français, et les autres
Européens à leur suite, doivent indiquer clairement aux Russes qu'ils ne changeront pas leur opposition à la présence de l'Ukraine ou de la Géorgie dans l'Otan…
au moins en l'état actuel. Ils
doivent aussi faire savoir
à Moscou qu'ils ne passeront au régime des sanctions que
la mort dans l'âme. Mais en même temps, ils doivent
faire comprendre aux Russes
qu'ils pourraient rapidement accepter le principe d'une candidature de l'Ukraine ou de la Géorgie à l'Union européenne. Mais pour des raisons qui ne sont
pas de tactique mais de principe, l'élargissement de l'Europe ne pourra s'effectuer qu'avec le consentement de la Russie, et seulement si la Russie avance parallèlement
sur la voie d'un statut spécial d'associée à l'Union européenne, qui la maintienne au moins sur le même
plan que l'Ukraine. Si la Russie accepte d'entrer dans un
tel mécanisme de négociations, Russes et Européens de l'Ouest pourraient alors bâtir à l'échelle du continent un
dialogue généralisé qui bouleverserait
la face du monde.
Le premier acte de ce grand retournement serait la création d'une véritable communauté énergétique, où l'Europe assurerait sans à-coups
son approvisionnement pétrolier
et gazier, mais où la Russie obtiendrait
à son tour les financements et les marchés nécessaires à sa véritable expansion. S'agissant du statut définitif de l'Abkhazie et de l'Ossétie, celui-ci devrait être gelé jusqu'à
la réunion d'une conférence de la paix en Transcaucasie qui devrait régler parallèlement le problème du Karabakh entre Azerbaïdjan et Arménie avec la présence des Américains et des
indispensables Turcs. Si la France commençait à débloquer cette voie, elle
pourrait alors plus aisément développer avec l'Allemagne une sorte de directoire européen dont l'importance
apparaît en ce
moment même en pleine lumière.
Si la Russie,
qui vient déjà d'être désavouée
pour son excès de force par la Chine et l'Asie centrale unanime, comprend qu'elle peut sortir
par le haut de la crise, elle
aussi remportera une grande victoire,
tout à la fois sur ceux qui veulent l'encercler et la bâillonner, mais aussi sur
elle-même.