En Ossétie, le retour de flamme du Kosovo

 

12/08/2008

 

L'analyse de Renaud Girard, grand reporter au «Figaro».

 

Après vingt ans d'éclipse au profit de ce qu'on appelait naguère encore l'«hyperpuissance» américaine, voici le grand retour de l'ours russe sur la scène internationale. Le ballet diplomatique occidental qui s'efforce actuellement de tempérer la violence de la réaction russe au coup de force de jeudi dernier du président géorgien Saakashvili contre l'Ossétie du Sud ne changera rien. La Géorgie semble avoir définitivement perdu ses provinces rebelles d'Ossétie et d'Abkhazie, comme l'a clairement laissé entendre Vladimir Poutine.

 

Lorsque l'Union soviétique se désintégra en 1991, et que la Géorgie prit son indépendance, la petite région autonome d'Ossétie du Sud (72 000 habitants), qui souhaitait rester sous l'autorité de Moscou, se rebella immédiatement contre le nouveau pouvoir central de Tbilissi. Sous le communisme, personne n'a jamais pris au sérieux le tracé des frontières administratives internes. Le problème est que ce sont elles qui prévalurent lorsque les systèmes fédératifs communistes s'effondrèrent, en Union soviétique et en Yougoslavie, pratiquement en même temps.

 

Les Ossètes, qui parlent une langue proche du persan, ne se sont jamais sentis proches des Géorgiens, dont la langue est cauca­sienne. En 1921, les Ossètes prirent le parti des bolcheviques contre celui des séparatistes géorgiens. De nombreux villages ossètes furent brûlés par les forces géorgiennes indépendantistes, avant que l'armée Rouge ne prenne définitivement le dessus. Dans sa politique de nationalités, Joseph Staline, bien que géorgien d'origine, fut toujours plus grand Russe que les Russes eux-mêmes.

 

En juillet 1992, le président russe Boris Eltsine conduisit une médiation entre Géorgiens et Ossètes, qui aboutit à un cessez-le-feu, avec déploiement en Ossétie du Sud d'une force russe de «maintien de la paix». Le même scénario se produisit en Abkhazie deux ans plus tard.

 

Tout naturellement, les soldats russes prirent le parti des populations prorusses des deux régions autonomes rebelles. La réalité est qu'à Tskhinvali le pouvoir géorgien indépendant ne s'est jamais exercé. En tentant de recouvrer, par la force et par surprise, sa souveraineté sur l'Ossétie du Sud, certes reconnue par le droit international, le président géorgien a commis une très grave erreur d'appréciation. Il a sous-estimé la détermination de Moscou et surestimé le soutien que les États-Unis seraient prêts à lui apporter. Non seulement les Américains n'enverront pas le moindre soldat en Géorgie, mais ils ne resteront pas fâchés longtemps avec la Russie, tant ils ont besoin d'elle dans le dossier nucléaire iranien, priorité numéro un à Washington.

 

Naïvement, Saakashvili a cru qu'avoir le droit international de son côté suffisait pour pouvoir recourir à la force. Le problème est que ses amis occidentaux viennent précisément de violer ce droit-là, en reconnaissant unilatéralement l'in­dé­pendance du Kosovo, alors que la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU (qui mit fin à la guerre en plaçant la province serbe sous le contrôle des troupes de l'Otan) réaffirmait sans ambiguïté la souveraineté de la Serbie sur ce territoire majoritairement albanophone.

 

Au début de cette année, le ministre russe des Affaires étran­gères Lavrov avait prévenu solennellement à Bruxelles son homologue américain Condi Rice : la reconnaissance du Kosovo constituerait un précédent pour l'Abkhazie et l'Ossétie du sud. Les Américains et leurs grands alliés européens ont eu tort de ne pas le prendre au sérieux, ainsi que d'ignorer l'avertissement très clair que leur lança l'Espagne, in­quiète d'une telle violation du droit international.

 

Habilement, les Russes utilisent aujourd'hui la même rhétorique que celle utilisée par les Occidentaux au Kosovo en 1999, parlant d'une minorité ossète victime de «géno­cide» et d'«épuration ethnique». Le droit international existant est sans doute imparfait. Peut-être conviendrait-il de le modifier. Mais tant qu'il existe, quiconque le viole s'expose fatalement, un jour ou l'autre, à un sévère retour de flamme.