Quelques raisons de la popularité d'Obama

 

08/08/2008

 

La chronique d'Alexandre Adler, le 9 août.

 

Parfois, les hasards de la mise en page sont symboliques : disposant aujourd'hui d'un peu plus de deux feuillets, j'en profite pour expédier rapidement le problème Obama. Il est en effet au-delà de toute discussion que Barack Obama a révolutionné la compétition présidentielle, et même, en profondeur, toute la politique américaine. Il symbolise tout à la fois la ­pro­motion spectaculaire des élites noires (trois des présidents de so­ciétés les plus importantes, un chef d'état-major des armées, et l'ac­tuelle secrétaire d'État, Condo­leezza Rice), mais aussi la réhabi­litation, non moins spectaculaire, de la gauche américaine, dont il a défendu toutes les idées importantes : pacifisme, protectionnisme, antimilitarisme, augmentation de la fiscalité et meilleure solidarité fondée sur une bien plus grande redistribution. Tout cela a été no­tamment acquis par le charme d'une personnalité, non seulement éloquente et brillante, mais aussi, ce qui est plus rare dans la communauté afro-américaine, sur une ab­sence tangible du moindre ressentiment à connotation raciale.

 

Que les États-Unis doivent élire un jour un président (ou une présidente) afro-américain est inévitable ; que la génération humiliée des enfants de communistes et de progressistes, aujourd'hui parvenus à la richesse et au pouvoir, aient très envie d'infliger une défaite spectaculaire à une droite américaine, qui demeure arrogante sans avoir aussi bien réussi que ces rejetons, était également inévitable. Barack Obama aura réussi à conjoindre ces deux mouvements immanents de la société américaine.

 

Ce n'est pas le seul talent du candidat qui peut expliquer pa­reille alchimie. Comme pour ­Kennedy en 1960, le barrage anticatholique a cédé devant l'émergence de la génération de l'après-guerre, ici, le barrage anti-Noirs et antigauche est en train de céder sous le poids du rejet maintenant massif de la révolution reaganienne.

 

Celle-ci aura assuré aux États-Unis un spectaculaire redressement économique, payé pourtant d'inégalités sociales dont la somme arrive peu à peu à dépasser en inconvénients ce que la libération des marchés continue d'apporter comme avantages.

 

De plus en plus d'Américains, notamment les baby-boomers, ressentent de plus en plus cruellement l'absence de couverture mé­dicale universelle. Les salariés de l'industrie et des services ont vu très majoritairement leurs revenus stagner depuis 2002. La crise du subprime n'est que la quatrième occurrence de l'explosion d'une bulle spéculative.

 

Ce genre de bulle est entièrement solidaire d'un mode de développement fondé sur des facilités excessives de financement qui finissent, tout comme l'inflation naguère, par produire une allo­cation irrationnelle des ressources et frustrer gravement les classes moyennes inférieures, ici frappées de plein fouet par l'effondrement du secteur immobilier.

 

À cela s'ajoute la stagnation parfois incroyable de tous les équipements publics dans un pays la basse pression fiscale a maintenu les chemins de fer, les aéroports et parfois les routes au niveau technologique des années 1970. C'est à La Nouvelle-Orléans, en 2005, que la faillite de l'État américain devant une catastrophe naturelle, tout à la fois prévisible et enrayable, a prouvé à la majorité des Américains que l'intervention du gouvernement, à la manière de Franklin Roosevelt, est parfois indispensable.

 

Si on additionne à tout cela que la crise économique et financière atteindra son point culminant vers le mois d'octobre, à quelques jours de l'élection présidentielle, on comprend mieux l'avance actuelle d'Obama sur son concurrent républicain, John McCain.

 

Un seul élément peut perturber cette marche triomphale, qui correspond parfaitement au messianisme américain : l'incontestable victoire remportée au finish par George Bush, en Irak, qu'il convient de combiner avec une négociation difficile avec l'Iran. Cela ne correspond pas à la conception du monde développée par Obama, Hollywood et l'université américaine. C'est le seul point le candidat républicain McCain dispose d'un véritable avantage comparatif.