Dangereux mécanisme au Moyen-Orient

 

09/05/2008

 

La chronique d'Alexandre Adler

 

Un redoutable mécanisme semble s'être mis en marche au Moyen-Orient. Il a des causes manifestes, des causes secondes et même des hasards imprévus qui conduisent néanmoins à une convergence très nette de menaces.

 

Partons tout d'abord de l'Iran en fièvre d'où partent les menaces les plus décisives. Paradoxalement, ce n'est pas parce que l'Iran serait de plus en plus fort, mais parce que sa crise intérieure est de plus en plus manifeste, qu'il est dangereux. Les dernières élections législatives ont, en effet, par le truquage et la censure, abouti à un résultat incertain : deux tiers des nouveaux députés au Majlis se disent «conservateurs», mais deux tiers aussi environ récusent le président Ahmadinejad et souhaiteraient son remplacement par des hommes tels que le maire de Téhéran, Qalibaf, ou l'ancien négociateur nucléaire, Larijani, lesquels ont ex­primé les doutes que leur inspire l'approche tout à la fois intransigeante et hystérique du président actuel de l'Iran.

 

Le nœud de l'affrontement se situe en ce moment même en Irak , à la différence de Téhéran, tout est clair et explicite : l'Armée du Mahdi de Moqtada al-Sadr incarne la ligne Ahmadinejad, les brigades Badr, formées par les Iraniens eux-mêmes, se situent avec leur chef, l'ayatollah Hakim, dans la mouvance conservatrice modérée de Rafsandjani, lequel ne cache plus son désir de trouver un compromis avec les États-Unis.

 

Il est notoire qu'Ahmadinejad souhaite depuis longtemps mettre un terme à l'effusion de sang entre chiites et sunnites en Irak, laquelle commence à se propager un peu partout, depuis le Pakistan jusqu'au lointain Yémen. Pour cela, le président iranien et ses affidés, ainsi qu'une aile pro-iranienne d'al-Qaida, espèrent recréer l'unité de toutes les confessions musulmanes dans un djihad renouvelé contre l'Amérique et Israël. Des voix se sont fait entendre, notamment chez les Frères musulmans égyptiens, pour espérer une telle issue et saluer un programme nucléaire iranien que beaucoup d'islamistes, pas seulement au Caire, tiennent pour une force libératrice et d'emploi immédiat contre Israël, quels que soient les risques encourus.

 

Il existe au Moyen-Orient un seul lieu ce front commun entre sunnites et chiites demeure pensable, c'est le Liban, puisqu'en Irak, le gouvernement Maliki et les chiites modérés n'ont pas hésité à livrer bataille et à placer sur la défensive al-Sadr et ses amis. Au Liban, la communauté chiite n'est pas moins di­visée entre modérés, centristes (le mouvement prosyrien Amal de Nabih Berry) et extrémistes de la majorité actuelle du Hezbollah de Nasrallah. Mais, malgré ces tensions qui s'insinuent, depuis les combats de l'été 2006, jusqu'au cœur du Hezbollah lui-même, la haine du voisin israélien demeure fédératrice. L'alliance militaire, scellée à Damas entre le Hezbollah libanais et les ­Frères musulmans palestiniens du Hamas, résiste encore à toutes les mises en garde saoudiennes et à ­toutes les hostilités sectaires.

 

C'est la raison pour laquelle Ahmadinejad, le dos au mur, n'a plus qu'une carte en mains : Nasrallah et ses amis. Grâce au caractère préfreudien de la politique arabe actuelle, on peut parfois lire Nasrallah à livre ouvert : après les combats de 2006, il avait présenté ses excuses au peuple libanais en reconnaissant qu'il avait sous-estimé l'ampleur de la réaction israélienne aux enlèvements de soldats auxquels il avait procédé sur les ordres directs de Téhéran. Mais voici que maintenant, après avoir achevé un système complet de télécommunications in­dépendant de l'État libanais, contribué sans état d'âme à bloquer tout le système politique libanais et reçu, via Damas, de nombreux missiles qui compensent les pertes d'il y a deux ans, Nasrallah annonce l'im­minence d'une guerre civile contre le gouvernement indépendantiste de Fouad Siniora, et avoue au passage qu'il ira jusqu'au bout, même si son «père» lui enjoignait de ne pas le faire et qu'il avait à se couper le bras pour obéir à on ne sait quelle injonction. Traduction : le père risque de changer de figure à Téhéran, et le soutien de Damas, qui flirte en ce moment même avec Israël, n'est peut-être pas assuré de sa ligne provocatrice, mais combien même le faqih, le pape du chiisme, Ali Khamenei, le « père », ne serait pas d'accord pour l'offensive, le soldat Nasrallah est prêt à se couper le bras pour aider son frère Ahmadinejad, le seul ennemi véritable des Juifs et des Américains dans ce moment thermidorien que traverse l'Iran.

 

À partir de , l'engrenage est en marche : Israël ne peut ni tolérer une victoire militaire du Hezbollah sur ses adversaires libanais dont certains, le maronite Geagea et le Druze Walid Joumblatt, sont ses protégés directs , ni laisser Ahmadinejad continuer son chantage nucléaire, dans un contexte très étrange la probabilité d'une candidature dé­mocrate, voire d'une victoire électorale d'Obama, risque de faire venir à la Maison-Blanche un partisan de la négociation à tout prix.

 

La chute imminente du gouvernement Olmert pourrait ainsi ouvrir la voie à un gouvernement d'union Barak-Netanyahou, dont le ciment serait bien d'exercer sa revanche aéroterrestre sur le Hezbollah, et peut-être aussi aérienne sur l'Iran, de manière à y précipiter une crise majeure du système politique. Décidément, voici un bien angoissant soixantième anniversaire pour Israël.