L'US Navy se déploie autour de l'Amérique latine
Rio de
Janeiro, Lamia Oualalou
28/04/2008
Désireux de faire face à la montée en puissance des gouvernements
de gauche dans leur arrière-cour, les États-Unis recréent la IVe Flotte.
C'est désormais officiel :
le Pentagone va ressusciter sa IVe Flotte, avec pour mission de patrouiller dans les eaux latino-américaines et des Caraïbes. Créée pendant la Seconde Guerre mondiale
pour protéger le trafic
dans l'Atlantique Sud, la structure a été dissoute en 1950. «En rétablissant
la IVe Flotte, nous reconnaissons l'immense importance de la sécurité
maritime dans cette région», a déclaré l'amiral Gary Roughead, chef des opérations navales du Pentagone.
Basée à Mayport,
en Floride, la flotte travaillera sous la double tutelle de la marine américaine
et du commandement Sud de l'armée, chargé de l'Amérique du Sud
et des Caraïbes. Elle sera commandée
par le vice-amiral Joseph Kernan
et devrait disposer d'un porte-avions nucléaire.
Pour Alejandro Sanchez, analyste au Council on Hemispheric Affairs, un centre d'études sur l'Amérique latine établi à
Washington, «le rétablissement de la IVe Flotte est
plus un geste politique que militaire, destiné à faire face à la montée en puissance des gouvernements de gauche dans la région». Le Pentagone ne prend pas la peine de camoufler ses intentions : «le message est clair : que cela plaise
ou non aux gouvernements locaux, les États-Unis sont de retour après la guerre d'Irak», explique Sanchez.
«Nouvelles
menaces»
De fait, l'influence
militaire de Washington a considérablement
diminué dans la région depuis le 11 septembre 2001 et le lancement de
la «guerre contre le terrorisme».
Concentré sur l'arc de crise
au Moyen-Orient, le Pentagone
n'a pas prêté attention aux
bouleversements politiques dans son arrière-cour. Les
gouvernements de gauche, désormais
largement majoritaires en Amérique latine, reprochent aux États-Unis le soutien qu'ils ont apporté aux dictatures qui ont régné pendant plusieurs décennies et aux politiques ultralibérales qu'elles ont appliquées.
Alors que Washington assure que son seul intérêt
dans la région est de combattre
les «nouvelles menaces» (terrorisme,
trafic de drogue et gangs de maras
en Amérique centrale), les
populations latino-américaines y voient
souvent la poursuite d'intérêts «impérialistes» dictés par les besoins en énergie. Les tensions entre
Washington et les présidents
radicaux des principaux
pays producteurs de pétrole
et de gaz du sous-continent (Venezuela, Équateur
et Bolivie) accentuent cette perception.
En signe
de défiance, pratiquement tous les pays latino-américains ont refusé de signer l'American Serviceman Protection Act, un traité qui empêche de poursuivre en justice les soldats
américains pour les crimes commis
à l'étranger.
Le projet
d'installer une base militaire au Paraguay, à proximité des gisements de gaz bolivien, a
été dénoncé par le Brésil et l'Argentine. L'Équateur a fait savoir que la
base militaire américaine installée à Manta jusqu'en 2009 n'aurait pas droit à un
renouvellement de son mandat.
Pire, le président brésilien, Luiz Inacio Lula da Silva, a relancé l'idée d'un Conseil régional de défense d'Amérique du Sud,
excluant explicitement toute intervention américaine.
La mise
à l'écart de Washington intervient au moment où surgissent de nouveaux foyers de conflits
dans la région, comme par exemple entre la Colombie d'un côté, l'Équateur et le Venezuela
de l'autre, ou entre la Bolivie et le Chili à propos de l'accès à la mer. Une course aux armements est en cours dans la région,
où les États profitent de la reprise économique
pour rééquiper leurs armées laissées à l'abandon depuis
les années 1970.
Les fabricants d'armes américains ne sont plus les seuls sur le marché :
certains pays européens, mais surtout la Chine, la Russie et l'Iran, cherchent à prendre
pied dans une région qui les attire aussi pour
son potentiel en ressources
naturelles et énergétiques.