Le Ness plus ultra
Serge Truffaut
March 12
Cela ne s'invente
pas. Gouverneur de l'État
de New York, Spitzer a Eliot pour prénom.
Le même que l'autre, le Ness, le saint patron des incorruptibles
qui pourchassent les truands,
les cols blancs comme les
cols bleus. C'est d'ailleurs
en faisant la vie dure aux voyous portant les cravates à la mode sur les parquets de la Bourse qu'il
s'était taillé une réputation de «nouveau
incorruptible», voire de «croisé
infatigable», pour reprendre
les surnoms dont les médias l'avaient affublé lors des scandales WorldCom, Tyco, Enron et d'autres
qu'on oublie. Lui-même s'était autoproclamé «le shérif de Wall
Street».
Ce vernis construit
à la force du poignet sur un paravent de probité morale s'est liquéfié en moins de deux au terme de l'acte de contrition de l'ex-procureur général de l'État de New York. Ce shérif a avoué
avoir payé le prix fort
pour une histoire de bagatelle. En clair, il a déboursé
plus de 4000 $ pour consommer les faveurs
d'une péripatéticienne évoluant dans les hôtels chic de la capitale. CQFD:
ce réseau de proxénètes proposait des services
de call-girls dites de haut vol,
aux politiciens en particulier.
En dehors
de tout jugement moral, cette
histoire a ceci de particulièrement
affligeant qu'elle plombe sérieusement le travail que poursuivent l'actuel procureur général et ses collaborateurs. On pense notamment aux enquêtes amorcées alors que Spitzer était encore le
patron des justiciers. Chose certaine,
lorsque la nouvelle est tombée sur les fils de presse, les courtiers de
Wall Street... ont applaudi!
Car l'homme,
lorsqu'il pourchassait les escrocs millionnaires, avait opté pour une stratégie «d'agressivité», c'est son mot, de
tous les instants. Il avait
la dent si dure et des méthodes parfois si brutales que
des gens de son camp disent
aujourd'hui avoir estimé Spitzer imprudent ou irresponsable. Cette inclination,
ou plutôt cette certitude qu'il avait d'être sûr de son fait constamment l'avait amené à démolir
sans preuve les individus
qui évoluaient sur son
radar de procureur. Un exemple?
Il avait fait courir et alimenter la rumeur que la secrétaire de Richard
Grasso, ex-président de la Bourse de New York, était sa maîtresse.
Bref, il brandissait la petite mort, même supposée, pour réduire la réputation d'autrui à un bouillon saumâtre.
Comme c'est toujours
le cas avec les dérives du coeur des politiciens,
le public a eu droit à un rituel de repentance, pour reprendre un titre du Washington Post. Et, comme d'habitude, le tout a été mis en scène et administré par ces experts en sophismes divers que sont les relationnistes. En clair, on a une fois encore obligé madame à être
présente, on a glissé dans la bouche de monsieur les mots clés. Les mots qu'il doit
absolument employer par calcul
et non pas nécessairement par sincérité.
Et ce, pour que cet exercice soit
pris en considération lorsque le temps de la peine viendra. À l'instar des précédents, ce spectacle était consternant.