Personne n’est au-dessus du droit

 

22 AVRIL 2015

 

Benito Perez

 

Une usine qui part en fumée, des enfants travailleurs, un syndicaliste assassiné, une fuite toxique qui empoisonne ouvriers, habitants et environnement. Deux siècles après le début de la révolution industrielle, les symptômes du libéralisme sauvage montrent une terrible permanence. Si, en Europe, la délocalisation de certaines activités et le succès des luttes sociales et environnementales du XXe siècle ont créé, pour beaucoup, l’illusion d’une société d’abondance sans trop d’effets secondaires, la destruction de la nature, l’exploitation, la violence et le danger demeurent, dans la plupart des pays, au cœur de la production de richesses. La violation des droits élémentaires est le quotidien de nos usines, de nos plantations, de nos ouvriers «délocalisés» dans le sud de la planète.

 

Privé du cadre législatif patiemment construit par le mouvement ouvrier occidental, ce nouveau prolétariat n’a, lui, pas même le droit de faire face à son patron. Depuis leur siège européen ou nord-américain, les transnationales ne se contentent pas de faire jouer la concurrence entre les travailleurs, elles profitent aussi des frontières juridiques pour éluder leurs responsabilités. Qui paie, commande? Peut-être, mais qui commande, aujourd’hui, se lave les mains des actes commis aux quatre coins de la planète par ses obligés.

 

Cela fait au moins deux décennies que les Nations Unies débattent de cette aberration qui voit quelques centaines de sociétés privées dominer le commerce mondial et se mouvoir presque sans entraves sur une planète régie par 190 législations. Pour éviter une convention internationale ad hoc, ces entreprises et leurs pays d’origine ont multiplié les promesses. D’abord d’autorégulation: c’était le Global Compact de Kofi Annan. Puis, sous la pression d’un projet de texte onusien porté par des pays du Sud, les Occidentaux ont défendu une voie intermédiaire: l’adoption, au Conseil des droits humains (CDH), de «Principes directeurs» communs, devant inspirer les législations nationales dans le sens d’une coresponsabilité des Etats, des maisons-mères et des filiales ou sous-traitants. C’était en 2011.

 

Comme de bien entendu, après avoir refusé la solution globale, prétendument par souci de subsidiarité, les Etats du Nord rechignent désormais à légiférer au niveau national, arguant des risques pour leur compétitivité. Hypocrisie éculée mais toujours efficace.

 

Sans illusions, des pays du Sud présents au CDH ont remis l’ouvrage sur le métier et préparent un nouveau projet de Convention contraignante. L’initiative populaire fédérale lancée hier à Berne par une soixantaine d’ONG participe de la même contre-attaque. En forçant un débat national sur l’encadrement des sociétés transnationales, elle met une pression complémentaire au débat onusien.

 

Bien entendu, la bataille s’annonce difficile. Les dernières votations ont montré une population suisse plus que perméable aux arguments ayant trait à «l’attractivité» de la place économique suisse. Mais les ONG ne manquent pas non plus d’atouts. Ainsi l’ouverture esquissée par la France, dont les députés viennent d’ancrer à la fin mars ces mêmes principes dans la loi. Les militants pourront aussi s’appuyer sur une certaine idée helvétique du droit, une éthique de

l’équité devant la loi.

 

La lenteur de la démocratie directe pourrait elle aussi constituer un avantage. Car, à son tour, l’initiative fédérale est observée avec intérêt à l’étranger. Une récolte populaire fructueuse dans ce bastion du commerce transnational pourrait avoir un effet d’entraînement non négligeable sur quelques pays hésitants.

 

L’espoir est certes mince, mais il mérite d’être entretenu. Tout, sauf s’accommoder que des trusts régentant la vie de centaines de millions de personnes demeurent au-dessus du droit.