Mariage gay : Obama "va dans le sens du vent"

 

Arnaud Focraud

 

INTERVIEW - A six mois de l'élection présidentielle américaine, Barack Obama, qui brigue un second mandat, s'est prononcé mercredi soir, à titre personnel, en faveur du mariage homosexuel. Une première pour un président des Etats-Unis en fonction. Un choix parfaitement calculé, selon François Durpaire, historien et spécialiste de la vie politique américaine*.

 

Pourquoi Barack Obama s'est-il déclaré favorable au mariage homosexuel, à six mois de l'élection présidentielle américaine?

D'abord, il a compris que la majorité des Américains était favorable au mariage gay (52% selon un récent sondage). Et puis, en termes de stratégie politique, il y a deux choses : c'est une façon pour lui de conquérir l'électorat indépendant (ou centriste, Ndlr). Parmi eux, 57% sont favorables à ce droit. Cela lui permet également d'agiter un chiffon rouge aux républicains. Il lui faut droitiser le discours de son adversaire, Mitt Romney. Plus ce dernier se déportera sur la droite, plus le président américain aura des chances de gagner. Cela a déjà marché puisque le républicain a aussitôt rappelé son opposition au mariage gay, mercredi soir.

 

N'y a-t-il pas de risque à cliver la population américaine sur ces enjeux?

Il clive surtout le parti républicain, qui a des problèmes identitaires entre les modérés et les conservateurs. Derrière le mariage homosexuel, ce camp a tout un discours qui parle d'avortement, de religion… C'est toute une façon de concevoir la famille. Les plus conservateurs ont des positions très tranchées, mais Mitt Romney est moins à l'aise sur ces sujets. Il fait partie de la communauté mormone, qui est plus modérée politiquement.

 

Le républicain sera-t-il en difficulté pour attaquer Barack Obama sur ce sujet durant la campagne?

Il va devoir le faire, tout en étant conscient du risque de se priver d'une partie des électeurs indépendants. C'est-à-dire du nerf de la guerre pour remporter une élection présidentielle.

 

«On est très clairement dans une instrumentalisation politique des questions sociétalesPourquoi le président américain se prononce-t-il à titre "personnel" pour ce droit sans pour autant vouloir le légaliser?

Il a une perception fine des questions de société : il n'est jamais trop en avant, tout en se mettant un peu en amont. En 2008, il n'avait pas cette position mais était déjà nuancé sur cette question (il s'était prononcé pour des "partenariats civils", Ndlr). Il faut aussi rappeler qu'il n'engage pas sa responsabilité avec une telle orientation, car ce sont le Congrès, la Cour suprême et les Etats fédérés qui tranchent sur le mariage homosexuel. L'administration présidentielle est la seule à n'avoir rien à dire sur le sujet. Ceci étant, une position "personnelle" d'un président en fonction à six mois de se faire réélire n'est pas quelque chose d'anodin.

 

Les électeurs peuvent-ils néanmoins comprendre ce changement de positionnement?

Barack Obama a évolué avec prudence. Mercredi soir, il a dit qu'il n'était pas forcément favorable à ce droit à l'origine mais que c'est son "entourage" qui l'a convaincu. Il a mis en avant ses deux filles (en affirmant que "Malia et Sasha ont des amis dont les parents sont de même sexe", Ndlr) et c'est important : il a voulu dire "nos enfants comprendront, ils vivront dans une autre Amérique". Cette façon de montrer son évolution sur des questions de cet ordre, c'est typiquement du pragmatisme américain.

 

Mais les républicains ne peuvent-ils pas l'attaquer sur cette différence de positionnement en quatre ans?

Oui, sauf qu'il vaut mieux argumenter lorsqu'une majorité de la population pense la même chose! Barack Obama n'est pas fou politiquement : il va dans le sens du vent, la société commence à évoluer. S'il s'était dit favorable à l'abolition de la peine de mort, il se tuerait politiquement. Car la population n'envisage pas encore une telle question.

 

Joe Biden, le vice-président américain, s'était déjà prononcé dimanche pour le mariage homosexuel. Etait-ce une façon de prendre la température avant la déclaration de Barack Obama?

 

Exactement, c'est un ballon d'essai. Avec cette déclaration, il s'agissait de voir les réactions des citoyens et du camp d'en face avant d'aviser et de prendre la décision finale. Cela montre que la communication politique est extrêmement pensée. Et qu'on est très clairement dans une instrumentalisation politique des questions sociétales. C'est évidemment un argument politique. Cela laisse envisager que d'autres sujets de cet ordre seront abordés. Je fais le pari que le président parlera prochainement d'une Amérique multi-religieuse. Ce sera une nouvelle façon de pousser les républicains dans leur retranchement, qui pour leur part réaffirmeront que le cœur de l'Amérique est chrétien.

 

* Auteur notamment de L'Amérique de Barack Obama en 2007 (édition Demopolis)