La grande traque des journaux de New York
Le New York Post et le Daily
News rivalisent de révélations
et de titres accrocheurs…
Le New York Times raille les
critiques françaises.
The big story. Pour Charles
B. l’arrestation de Dominique Strauss-Kahn est "la" très grosse affaire d’une carrière. Au siège du New York Post, à quelques
blocs seulement du Sofitel de Times Square, il appartient au pool de reporters qui alimentent
tous les jours la chronique DSK. Son journal, un tabloïd
trashy, a consacré au "Perv",
le pervers, la quasi-totalité
de ses Unes depuis le 15 mai dernier. Et pour
50 cents, le lecteur est servi chaque matin
en révélations croustillantes,
toujours à charge contre le
Français. Le crime présumé
de la "grenouille pourrie",
du "pleurnichard",
du "gros chat répugnant" est décrit dans le détail, tout comme le faste de ses logements
successifs… Samedi encore, il était traité
de "bad tipper", le radin qui ne donne pas de pourboire. Inimaginable dans la presse française.
Jean impeccable, chemise à petits carreaux, l’air emprunté, Charles, la trentaine, n’a pourtant rien d’un Rouletabille. Sa rédaction est installée sur
l’Avenue of America dans un
building de verre qui abrite
les différents titres de l’empire Murdoch : la chaîne Fox
News, le très sérieux Wall
Street Journal et le New York Post, plus de 500.000 exemplaires
vendus chaque jour. Un
petit format, carré, une mise en pages agressive, des
photos détourées, de la couleur,
une encre noire et épaisse, et le drapeau américain en haut à droite.
Charles est
le maillon d’une chaîne journalistique bien huilée. Il rédige. Une question sur la police? Sur Anne Sinclair? Et il
appelle un de ses confrères pour vérifier l’information. Chaque jour, ils sont quinze
à travailler sur THE
dossier. Les rédacteurs, les enquêteurs
dispersés sur le terrain,
les correspondants installés
en permanence dans les locaux
mêmes de la police de New York (NYPD), dans un bungalow, la "Room 9" des jardins du New York City Hall, l’hôtel de ville, ou encore au rez-de-chaussée du tribunal, à côté de la salle des pas perdus. "Nous avons également
un correspondant en Israël,
explique le journaliste
d’un air entendu, les amis
de Strauss-Kahn s’agitent là-bas
et en Guinée, le pays dont est originaire l’accusatrice." Charles précise
que deux journalistes francophones épluchent la presse française et africaine.
"Pour l’instant, explique-t-il
avec un brin de condescendance
dans la voix, cela ne nous
a pas été très utile."
Une photo volée qui fait polémique
C’est le New York Post qui a révélé
l’affaire aux États-Unis
par une alerte Internet autour de 18h30 le samedi 14 mai dernier (minuit et demi heure française).
Le tabloïd a bien l’intention de conserver son avance
quitte à publier parfois des informations rapidement démenties : l’accusatrice ne serait pas atteinte du sida contrairement
aux affirmations du quotidien…
Et puis, un homme de
gauche, français de surcroît,
épinglé à la Une d’un des titres de son groupe n’est pas pour déplaire au très conservateur Rupert Murdoch.
Le Sun, emblème du groupe en Grande-Bretagne, avait caricaturé le président Jacques
Chirac en ver de terre! Et
en 2009, le New York Post avait déclenché
la polémique en publiant un
dessin représentant Barack
Obama en singe. Rien de moins.
"C’est
le fait divers du siècle, relativise
Jere Hester, professeur de l’université de journalisme de
New York, ancien du Daily
News, l’appartenance politique
de Srauss-Kahn importe peu. La semaine dernière le Post n’a pas été très charitable avec
Schwarzenegger et son enfant caché. Il est pourtant républicain."
Kantar Media, institut spécialiste
du "bruit médiatique"
a calculé que "l’affaire Strauss Kahn" avait
fait la Une de 150.000 quotidiens
nationaux dans le monde. Même Obama ne peut
en dire autant. "Ce faits divers est extraordinaire
car il concerne toute la planète, poursuit Jere Hester. Il n’est pas seulement question de politique et de sexe : elle est africaine,
pauvre et musulmane et il est blanc riche, juif et célèbre…"
Le New York Post n’est pas le seul média new-yorkais à se passionner pour l’ancien directeur du FMI.
Le Daily News, son concurrent direct (700.000 exemplaires),
adopte une ligne politique beaucoup plus nuancée. Il a néanmoins publié sur son site Internet le
20 mai dernier un cliché de Dominique Strauss-Kahn en
prison. La photographie volée
le montre dans une posture dégradante, en uniforme bleu antisuicide, pas rasé, le regard totalement hagard. Le procureur a d’ailleurs ouvert une enquête pour connaître la provenance du
document. Outre ces deux titres new-yorkais, les grands networks américains, CNN y compris, ont dépêché à Manhattan cars-régies, équipes de tournage et même hélicoptère pour suivre l’événement. Lorsqu’Anne Sinclair
cherchait encore un logement
pour son mari dans
Manhattan, le bruit des hélices annonçait
chaque nouveau mouvement.
Le New York Times a envoyé une équipe d’une
dizaine de reporters sur le
terrain. Le quotidien de référence,
progressiste et plutôt démocrate, qui a pour devise "Toutes
les informations qui méritent
d’être imprimées", lui
a consacré une large place.
Son attaque la plus cruelle
a été celle de l’une des éditorialistes vedettes du quotidien,
Maureen Dowds qui fustige
les médias français choqués par les photos de Strauss-Kahn menotté,
le soutien de l'"ami"
Bernard Henri-Lévy – "heureusement
il n’invoque pas
Dreyfus", écrit-elle – les émois
de ces Français qui soupçonnent un complot… Le french
bashing [ressentiment antifrançais]
ne fait que commencer.