Obama a conquis l'Europe
Par Olivier JAY et Pierre-Laurent MAZARS
Le Journal du Dimanche
En cinq
jours, plus qu'un nouveau
leader, c'est le visage d'une
nouvelle Amérique qui s'est
offert à l'Europe. A la fois plein d'assurance
charismatique et dépourvu de toute arrogance,
Barack Obama a réalisé un sans-faute
en parvenant à gagner la confiance et le respect des leaders européens
et des opinions publiques. Une
véritable gageure, après
les huit années Bush.
Des tâches
sombres sur les photos de famille ensoleillées. Hier après-midi, pendant le sommet
de l'Otan, à quelques kilomètres du Palais des Congrès de Strasbourg où étaient réunis les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Otan, des émeutiers ont mis le feu
à une pharmacie, à l'Office du tourisme et à l'hôtel Ibis près du pont de l'Europe. Plus de 10 000 manifestants, "dont environ
un millier particulièrement
violents ["blackblock"]".
C'est sous la fumée des lacrymogènes et des incendies que Barack Obama a quitté hier soir
Strasbourg pour Prague où se réunit
aujourd'hui le sommet Etats-Unis-Union européenne. Alors que son séjour
européen, depuis son arrivée à Londres mercredi, a été un sans-faute.
Un homme de gauche pour renforcer le capitalisme
Le style Obama tourne le dos à des années d'arrogance américaine. Jeudi, au sommet du G20 à Londres, c'est un
homme de gauche qui conduit le sauvetage
des économies mondiales, le
début "d'une nouvelle ère
du capitalisme", selon
Gordon Brown. Le protectionnisme est solennellement rejeté. Les Européens, Nicolas
Sarkozy et Angela Merkel main dans
la main, ont obtenu un capitalisme plus transparent: "Un grand succès psychologique, cette semaine s'est
enclenché un processus qui peut ramener la confiance", nous confie l'économiste Christian de Boissieu.
A nouvelle donne économique,
nouvelle donne géopolitique.
Avec le retour de la France, la famille
atlantique s'est trouvée réunie pour son 60e anniversaire.
Barack Obama a repris le ton martial adopté huit jours plus tôt à l'adresse d'Al-Qaïda: "Nous sommes unis, nous sommes forts, ils ne nous vaincront pas",
a-t-il lancé. "Unis" et "forts": les alliés
des Etats-Unis, qui se sont
tant fait prier pour participer
à l'effort de guerre, vont déployer 5 000 soldats supplémentaires en Afghanistan. L'Amérique
est de retour, et ses alliés de la Vieille Europe seront tous à ses côtés.
L'Amérique, telle que
la conduit Barack Obama, veut promouvoir
l'art du compromis. Une approche qu'il
a résumée à l'issue de son entretien avec Nicolas Sarkozy: "Nous ne cherchons pas à être le patron de
l'Europe, nous cherchons à être des partenaires de l'Europe. Nous voulons des alliés forts." Et qu'éclaire dans son entretien Howard Dean, un de ses proches. Le 44ème président des Etats-Unis sait que le dialogue passe par des
concessions mutuelles. Offrant
un succès à ses alliés au G20, il leur demande
un effort bien concret dans le cénacle de l'Alliance. S'il a surtout parlé de guerre hier, Barack Obama a continué de jouer les faiseurs de paix: Recep Tayyip Erdogan, le
Premier ministre turc, dont le veto a retardé l'avènement d'Anders Fogh
Rasmussen à la tête de l'Otan,
a souligné le rôle de
"garant" qu'avait
promis d'assurer le président américain. Obama sera d'ailleurs lundi et mardi en Turquie.
Applaudi par les jeunes
L'image la plus forte de cette visite en France restera l'étonnante rencontre avec les étudiants français et allemands réunis
à Strasbourg vendredi après-midi. Un
bref discours et une demi-heure de questions-réponses improvisées par un
leader de plain-pied avec ses interlocuteurs.
Cela faisait presque un demi-siècle
- depuis Kennedy le "Berlinois"
- qu'un président des Etats-Unis n'avait été applaudi par 3 000 étudiants. "Si vous ne pensez qu'à vous
et à gagner de l'argent, la vie vous paraîtra bien fade." Quel leader, depuis la mort de
Jean-Paul II, peut enthousiasmer
une salle de jeunes en prônant les vertus de la famille et en appelant une
génération au don de soi et
à la générosité?
En cinq
jours, Barack Obama a effacé huit années
Bush. Plus qu'un nouveau leader, c'est
le visage d'une nouvelle Amérique
qui s'est offert à l'Europe. Le
style Obama a séduit de Londres à Strasbourg, de Kehl à
Baden-Baden: décontracté
et charismatique, une assurance sans arrogance. Malgré
les violences de
samedi soir, c'est ce
que l'Histoire voudra retenir.