Carla Bruni-Sarkozy:
'Il faut aider les élites à changer'
Propos recueillis
par Claude Askolovitch
Le Journal du Dimanche
Exclusif. L'épouse
du Président s'engage après
l'"appel pour l'égalité
réelle des chances" lancé
par Yazid Sabeg dans Le JDD, et
déjà rejoint par plusieurs personnalités politiques. Elle ne
peut pas le signer, statut
oblige. Mais Carla Bruni-Sarkozy
explique pourquoi elle soutient ce texte. Néo-Française, la première dame rappelle
que son époux est aussi
un enfant d'immigré. Et elle invite la France à changer.
Si j'étais
seulement Carla Bruni, la
chanteuse, je signerais sans problème
le manifeste pour l'égalité.
Mais je m'appelle Bruni-Sarkozy, et mon nom m'appartient moins. Ce serait
étrange de communiquer avec
le pouvoir, donc mon mari,
par pétition interposée! Ça ne m'empêche pas de m'engager.
Et ça ne m'empêche
pas non plus d'être d'accord avec le texte que vous
publiez...
D'accord dans les grandes lignes, sur notre retard - mais j'ai peut-être
plus d'indulgence pour la France, qui est prête
à bouger. Et d'accord
avec les objectifs. Evidemment,
il faut
du volontarisme, chercher
les talents et les ambitions... Oui, il faut
faire émerger l'immense potentiel de la nouvelle France. Pendant
des années, j'ai été une marraine
de SOS-Racisme, j'ai aimé cette société
multiculturelle, cette
mini-France des potes. Hier, j'étais
avec Fadela Amara - encore une cousine de SOS - à la cérémonie des talents des cités.
C'est un bain
d'énergie... Et en même temps, la reconnaissance des cités
par le pouvoir ne suffit
pas. Les gens des cités doivent
devenir le pouvoir, eux aussi, à leur
tour! On en a parlé avec Fadela... Elle est
ministre, c'est une avancée formidable. Mais elle n'a
pas été élue, et c'est notre
limite.
Je me suis souvent demandé d'où venait
le blocage de nos sociétés - ce qui fait que nous soyons si Blancs, dans
les élites, au Parlement, dans
les cercles dirigeants (la musique, la mode, c'est autre chose), alors que la société est métissée... Est-ce une question morale, psychologique,
ou technique? Instinctivement,
j'en tenais pour la psychologie. Il faudrait donner confiance aux cercles dirigeants pour qu'ils s'ouvrent. Nous sommes
perclus d'habitudes.
Le pouvoir a souvent eu la même tête:
des hommes blancs
et plutôt âgés. Les
habitudes, à terme, ça devient une sclérose!
Il faudrait aider les élites
à changer... ou les forcer un peu,
car la psychologie n'y suffira pas. C'est pour cela que je me retrouve dans cet appel. Sans mesures politiques,
on attendra trop. On fait trop attendre les gens.
En même
temps, la France est un pays
ouvert, et l'étrangère que j'étais peut
vous le confirmer. Pas seulement l'étrangère, mais aussi l'épouse
du Président. Mon mari n'est pas Obama. Mais les Français ont voté pour un
fils d'immigré hongrois, dont le père a un accent, dont la maman est d'origine
juive, et lui a toujours revendiqué être un Français un peu venu d'ailleurs.
Il ne ressemble pas aux
élites françaises traditionnelles
et ça n'a rien empêché... Et, personnellement, je ne
corresponds pas au profil type de la première dame!
Je suis une
artiste, née Italienne...
"Les gens des cités doivent devenir
le pouvoir"
Bien sûr,
nous sommes, lui et moi, de souche
européenne, et c'est plus
facile. Evidemment, il reste ce blocage du système
politique au quotidien, cette incapacité des partis à faire élire dans les assemblées des gens différents, qui sortent du vieux moule du pouvoir... La diversité doit être offerte
aux électeurs, aux municipales
et aux législatives ! On y viendra.
Les électeurs sont
mûrs. Je pense que les partis politiques sont prêts à se laisser imposer des normes, une charte,
un pacte. L'effet Obama devrait nous entraîner. Vous me direz que
mon mari
peut accélérer le mouvement, en tout cas dans sa famille?
Certes. Mais on entre dans un débat
politique, et c'est la limite que je me fixe.
En tout
cas, laissons une chance à la France. Nos préjugés, ici, sont insidieux, ils freinent
les gens, ils épuisent... Mais en face, plein de choses émergent. Et nous sommes épargnés par le racisme brutal et impavide qui existe en Amérique. Je me souviens, jeune mannequin - j'avais 25 ans -, d'une séance photo organisée en
Caroline du Sud. Nous sommes restées plusieurs jours là-bas. On nous faisait
manger des plateaux-repas dans
notre caravane, alors qu'il y avait
un restaurant à côté. J'ai demandé pourquoi,
on m'a expliqué que le diner n'accepterait pas
Naomi Campbell, parce qu'elle
était Noire...
C'était cela, l'Amérique,
en 1992! Alors, voir arriver Obama, c'est
évidemment une joie
immense. Pour moi, pour tous
ceux qui aiment l'Amérique. Pour tous les Français, et notamment
l'un d'eux que je connais assez bien. Je sais
à quel point nous sommes tous pleins d'espoir,
pleins d'attente. Par contraste, quand j'entends Silvio Berlusconi prendre l'événement à la légère, et plaisanter
sur le fait qu'Obama est 'toujours bronzé',
ça me fait drôle. On mettra ça sur le compte de l'humour... Mais souvent, je suis
très heureuse d'être devenue française!"