Extrême traçabilité
L’éditorial de Didier Rose
le
progrès technologique est-il encore compatible avec les libertés
privées ? On peut s’interroger, à considérer l’ampleur de l’espionnage conduit
grâce à Internet par l’Agence
nationale de sécurité américaine (NSA). En piratant à son gré quantité de données totalement personnelles, le programme Prism utilisé par la NSA ne donne pas seulement une gifle
magistrale aux idéaux démocratiques et républicains par
ailleurs claironnés à la
face du monde par les États-Unis.
La
mise en place de cet Etat-surveillance révèle à quel point les technologies modernes
de communication ont accentué
le déséquilibre entre les détenteurs
du pouvoir et les citoyens.
L’ère du numérique n’a pas seulement développé de manière fabuleuse la vitesse, la quantité et la nature des informations
en circulation. Elle a aussi rendu
possible ce qui n’avait jamais été envisageable
jusqu’alors, et qui même dans les cauchemars d’Orwell avait des limites : la surveillance à grande
échelle des individus jusque dans leurs
actes les plus confidentiels.
L’
homo modernicus est d’une traçabilité extrême. En cas d’atteinte à ses fondements, une démocratie est réputée savoir se défendre, sécréter des anticorps contre ce type d’agressions. En réalité, il faut bien
constater qu’au motif de la
sécurité nationale ou de la lutte contre le terrorisme, les garde-fous légaux sont renversés. Formidable espace de liberté, Internet fait aussi figure de lieu d’érosion
des libertés individuelles,
de concasseur des prérogatives
consenties par nos sociétés à leurs membres : droit à l’oubli, séparation des sphères personnelles et professionnelles, maîtrise de la
diffusion des informations relevant de chaque personne.
Face
à l’énormité de ces enjeux, les doutes sur les motivations de l’homme à l’origine des révélations sur la NSA ne suffisent
pas à faire diversion. Peu importe
après tout la nature ou l’origine
d’un grain de sable : ce qu’il
révèle des failles d’un système de gouvernement dit démocratique peut être autrement
édifiant.