Une fébrilité coupable

 

Olivier Picard

 

La nouvelle journée new-yorkaise que la France a vécue hier laisse derrière elle une désagréable sensation de malaise. Avouons-le : on ne sait plus trop quoi penser de cette affaire dont le fait principal - une agression sexuelle dans une chambre d’hôtel - s’estompe peu à peu derrière l’écran des convictions intimes.

 

Les médias peinent tellement à reconnaître leur état de désorientation qu’ils se laissent aller volontiers à l’intensité des emballements successifs et désordonnés du feuilleton DSK. C’est sans doute une question d’oreille : hier, même si les reporters sont restés prudents, la tonalité des télévisions et radios, elle, a pratiquement disculpé l’ancien directeur du FMI. Elle a suggéré un lien mécanique entre les mensonges de son accusatrice et son innocence. À tel point que la décision du juge de lever l’assignation à résidence du Français a presque déçu : toute la journée, sur les ondes, n’avait-on pas fait monter le suspense en évoquant l’éventualité d’un abandon total des charges pesant sur lui ?

 

En donnant presque exclusivement la parole aux amis de DSK, le 20 heures de France 2, lui, a mutilé l’information. Si vous l’aviez pris en cours, vous pouviez croire qu’un acquittement avait été prononcé ! Et tant pis si dans le même temps la chaîne ne s’est pas gênée pour rediffuser la pénible séquence d’un DSK menotté, au mépris de toute éthique proclamée. Ce fut le triomphe d’une présomption d’innocence fourre-tout. Elle supplante, c’est vrai, la présomption de culpabilité. C’est même la marque d’un haut degré de civilisation. Une valeur fondatrice. Mais cette conception élémentaire de la justice ne saurait être défigurée par un dangereux simplisme. La vérité ne se livre jamais facilement. Elle peut-être complexe et contradictoire jusqu’à l’indéchiffrable. Même l’homme le plus honorable ne peut-être exonéré de tout soupçon quand les faits semblent accablants. Comment pourrait-il prétendre être totalement à l’abri de lui-même ?

 

Si la fidélité des amis de Dominique Strauss-Kahn - tout à coup plus nombreux - est estimable, leur certitude est dérangeante. Comme s’ils déniaient désormais à Nafissatou Diallo le droit de se plaindre parce qu’elle aurait menti. Comme si la jeune femme irréprochable défendue spontanément, il y a un mois et demi, par la direction du Sofitel, et ses voisins du Bronx n’avait jamais été, finalement, qu’une odieuse manipulatrice. Et voilà même qu’on moque ces féministes, forcément enragées, qui avaient pris fait et cause pour elle !

 

Hopla, un coup de gomme ! Et pourquoi pas, maintenant, DSK de retour dans la course des primaires quand il en est, à l’évidence, disqualifié? Une fébrilité coupable qui altère un peu plus l’image des journalistes, en réduisant à néant la distance que nous devons toujours nous efforcer de conserver par rapport aux événements.