impossible-verite
C’est une frustration planétaire. Le monde ultra-informé de
2011, celui qui vit les événements en direct au rythme météorique des tweets et de
Facebook, peine à croire qu’il devra se résigner à ne pas tout savoir. À
ignorer la fin du film. À ne jamais avoir
LA photo. La preuve visuelle,
absolue et définitive de la mort du plus redoutable terroriste de tous les temps.
La vitesse
de circulation, la densité et
le volume de l’information n’y
changeront donc rien: l’Histoire, quand elle est
sensible, n’est pas plus transparente
aujourd’hui qu’elle ne l’était au temps du plomb et des bélinographes. Si la réalité de l’exécution de ben Laden ne fait pas de doute, on ne connaîtra
sans doute jamais la vérité sur ses circonstances précises, ni sur
les conditions de l’immersion du
fondateur d’al-Qaïda. C’est comme ça. Plus les jours passent et
plus la confiscation des faits par les États-Unis engloutira dans le sable de l’oubli comme dans les eaux de la mer d’Oman les scénarii d’un événement que la Terre entière attendait. Comment les démocrates de tous les continents
pourraient-ils ne pas se sentir dépossédés de l’épilogue d’un traumatisme de dix ans ?
Ce
n’est pas une question de
technique, mais de pouvoir. D’abus de pouvoir, en l’occurrence.
La curiosité des peuples et
leurs demandes d’éclaircissement pèsent si peu en face des raisons d’État de l’Amérique et de ses alliés ! Personne n’a
intérêt à montrer le visage
défiguré de l’ex-ennemi numéro un. À Washington et à
Islamabad, personne n’a intérêt à être trop précis, à
commencer par le Pakistan qui fait beaucoup d’efforts
désormais pour se démarquer
de l’allié tutélaire américain. Surtout, ne pas paraître inféodé...
Tuer
ben Laden crée - à court terme - plus de problèmes que cela n’en
règle. Il va déjà falloir
gérer les exaspérations, et
son cortège de risques d’attentats
sauvages, que sa disparition génère dans un certain nombre de pays arabes. Alors la révélation de la vérité sur ses derniers moments semble bien secondaire
aux yeux de l’administration
américaine. Une revendication presque voyeuriste qui se heurte au
cliché «atroce» semble-t-il
de l’homme qui a nargué le
monde pendant si longtemps avant d’être abattu comme un chien.
La rétention d’une photo aussi potentiellement dangereuse qu’une bombe à retardement est
légitime. Un moindre mal.
Ben Laden n’était
pas armé quand une balle fatale a pénétré sous son œil gauche ? Et alors ?
On se doute bien que le commando américain n’allait tout de même pas faire
des sommations. L’une des perversités du terrorisme c’est qu’il impose,
parfois, ses méthodes à ceux qui le combattent. Aron écrivait que l’Histoire était tragique. Elle l’est, il faut bien l’assumer. Et leste notre
humanité d’une implacable cruauté.
Olivier Picard