Une issue lointaine
et incertaine
Jean-Claude Kiefer
Entrer en guerre est
une chose. En sortir,
une autre. La réunion de Londres consacrée à l’avenir de la Libye a surtout laissé entendre que l’issue était aussi
lointaine qu’incertaine.
Car la coalition internationale
est devant une impasse que les grands stratèges ne semblent pas avoir vue. Et
choisir une autre option pour contourner l’obstacle serait aller au-delà de la résolution 1973 de l’ONU, avec le
tollé que l’on imagine. Déjà, les États arabes, alliés si précieux sur
un plan psychologique, semblent
fléchir depuis que l’OTAN a pris
les commandes : seuls sept
pays sur les 24 de la Ligue
arabe étaient représentés à la conférence.
Pourtant, la maîtrise du ciel libyen
est acquise.
Les troupes de Kadhafi sont
stoppées en rase campagne par l’aviation de la
coalition et, aussitôt, les
forces « rebelles » s’emparent
du terrain. Mais, faiblement armées, elles se débandent dès que l’artillerie
« loyaliste », à l’abri dans les villes et villages - donc impossible à détruire sans énormes « dégâts collatéraux » -, tonne. Aujourd’hui, la situation est à peu près la même
qu’il y a deux semaines :
les volontaires de Benghazi restent
bloqués devant Syrte et sont sur
le point de perdre leurs récentes conquêtes.
Alors, que faire
? L’engagement au sol est totalement exclu à Washington où Barack
Obama ne veut pas répéter les erreurs commises en Irak… et doit être soulagé
de voir les Européens, essentiellement les Français et
les Britanniques, assumer la responsabilité
politique des opérations. Théoriquement aussi, l’ONU interdit cette escalade que représenterait un débarquement de soldats occidentaux, bien que la résolution soit ambiguë puisque
tout peut être mis en œuvre pour protéger les populations civiles.
N’en déplaise à Alain Juppé, armer l’insurrection
relève de la même difficulté car il
faudrait déployer des instructeurs sur place. De toute façon, ce ne serait
envisageable que si la communauté internationale reconnaissait le «
Conseil national de transition ». Jusqu’à
présent, seuls la France et le Qatar ont franchi ce pas.
Le flou
domine et dominera tant que
Mouammar Kadhafi s’accrochera à Tripoli. Lui offrir
un exil comme le suggère la diplomatie italienne paraît illusoire :
le « guide », adepte de la terre
brûlée, ne partira pas volontairement. Ses affidés
trop compromis non plus. Négocier
un vrai cessez-le-feu
avec couloirs humanitaires, selon
une initiative turque, relève aussi de l’utopie. Rome et Ankara, pour des
raisons diverses, cherchent
surtout à se démarquer du volontarisme franco-britannique… tandis que Berlin fait profil bas. Et il ne
faut pas négliger d’autres facteurs en Libye même où
des rivalités ancestrales opposent la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Une partition de fait
n’est pas à exclure, avec à
l’ouest le drapeau vert de la « Jamahiriya » et à l’est la bannière de l’ancienne monarchie du roi Idris.
Sous un régime plus démocratique à Benghazi, peut-être
pro-occidental… et garantissant l’accès
au pétrole.
Mais une partition mènerait à un désastre
politique face aux opinions arabes.
Toute l’opération conduite pour secourir le peuple libyen se résumerait vite à une guerre pour le pétrole…