Tourments d'informateur...
Olivier Picard
Si seulement
une carte de presse pouvait prémunir des tourments de l'information, alors tout serait décidément plus simple. Mais non,
il n'en
est rien. Un journaliste digne
de ce nom ne peut qu'éprouver des sentiments ambivalents
devant les révélations de
WikiLeaks. D'un côté, la
satisfaction de voir la vérité
l'emporter sur l'occulte. Les faits
sur la dissimulation. La lucidité
des peuples sur l'obscurantisme confiscatoire des
services secrets. De l'autre, la gêne
de participer à un grand déballage dans lequel il n'est
pas sûr, loin de là, que l'humanité trouve quoi que ce soit à y gagner.
La question que pose
la publication des milliers de câbles
diplomatiques américains, c'est celle de la transparence de
l'histoire. Faut-il vraiment aller fouiller dans les arrière-cuisines des relations internationales
pour exhumer leurs reliefs les moins
ragoûtants ? Après tout, on sait
bien que la vertu n'a jamais
guidé le monde et que les sourires des sommets masquent nombre d'arrière-pensées nettement moins gracieuses. Voilà des siècles et des siècles que
l'hypocrisie fait partie du
jeu des puissants. Sans doute est-elle nécessaire, même, pour conjurer
les inimitiés, voire les haines personnelles entre chefs d'État, ou les simples
contradictions d'un présent compliqué.
Avec un peu de cynisme on pourrait presque la considérer comme partie intégrante
d'un système de civilisation.
A quoi bon mettre en danger les équilibres
fragiles entre les géants
de notre petite planète
pour éprouver le plaisir, somme toute modeste,
d'avoir levé le voile sur des secrets qu'on aurait voulu nous cacher ?
Les fuites
de WikiLeaks, pourtant, concourent
aussi à la dignité de notre condition. Savoir ! Savoir ce
qui nous menace. Savoir ce que les grands dirigeants redoutent sans oser partager leur
inquiétude de peur d'y perdre un peu
de leur superbe, ce n'est pas vain. C'est une dimension de l'affranchissement
des hommes à l'égard des pouvoirs. Un élan irrépressible
pour résister à l'aliénation
des consciences. Une résistance aux multiples tentatives de
manipulation par les gouvernants.
Les cinq grands journaux triés sur le volet
qui ont décidé de publier la masse de documents confidentiels
du secrétariat à la Défense
et du secrétariat d'État américain veulent prendre leurs précautions
pour ne pas vulnérabiliser le monde. C'est à leur honneur. Mais la relative facilité avec laquelle ils
sont parvenus à se procurer secrets et confidences n'est pas rassurante. Leurs « exploits » pour récupérer
ces données sur Internet dessinent aussi une menace grandissante pour les nations dépouillées
de leur intimité minimale, et exposées à toutes les agressions.