Prix d'anticipation

 

By Olivier Picard

 

A la nouvelle répondit d'abord la surprise. Lui succéda un mouvement spontané de sympathie. Puis vint un étonnement un peu désagréable. Et finalement le sentiment diffus qu'une erreur venait d'être commise. Le choix de Barack Obama pour recevoir le prix Nobel de la paix nous a donné l'impression étrange de vivre l'Histoire en accéléré, comme si l'on dépassait à toute vitesse ce qui n'était pas encore arrivé.

 

 Trop tôt ! Nombreux sont les admirateurs du jeune et talentueux président des Etats-Unis à éprouver cette réticence devant une consécration pour le moins prématurée. Obama n'est qu'au temps paradoxal de son rêve pour l'Amérique. Si le souffle de ses discours met en évidence l'ambition de son grand dessein, il ne révèle encore que des manifestes de bonnes intentions. La cruauté de la réalité peut se charger de mettre en pièces les élans les plus généreux et de modifier la trajectoire des premiers mois de la présidence.

 

 Comment récompenser une page blanche ou presque ? A-t-on jamais vu un Nobel de littérature décerné à un auteur à la seule lecture d'une introduction époustouflante et, pour le reste, sur la foi d'un synopsis prometteur ? En faisant d'un prologue une consécration, la vénérable institution prend le risque d'être trahie par les événements. Elle a déjà honoré des chefs d'Etat ou des diplomates en exercice, certes. Mais ils avaient parcouru un long chemin pour convaincre leur propre camp de faire taire les armes.

 

 En 1973, Henry Kissinger et Le Duc Tho avaient essayé, sans trop d'illusion, de préfigurer la fin de la guerre du Vietnam et enclencher le retrait des troupes américaines. En 1978, Menahem Begin et Anouar El Sadate avaient eu le courage de signer une paix qui semblait impossible entre deux ennemis irréductibles, et le président Carter avait joué un rôle décisif dans la finalisation, à Camp David, du processus commencé par le voyage du président égyptien à Jérusalem. En 1994, Yitzhak Rabin et Yasser Arafat avaient chacun pris d'énormes risques pour réconcilier leurs peuples. Tous ces personnages furent rattrapés par le destin mais tous avaient fait avancer le cours de la paix.

 

 Barack Obama, lui, ne peut encore se prévaloir d'aucun bilan. Il est, en revanche, le chef d'un pays deux fois en guerre et à chaque fois qu'il devra utiliser la force, c'est sa distinction qui sera décrédibilisée par ses actes. Ce n'est pas lui rendre service, en vérité, que de lui mettre une charge supplémentaire sur les épaules. Relever l'Amérique, en pleine crise, de huit années de « bushisme » était déjà une gageure. Le faire avec un drapeau blanc dans une main et la bannière étoilée dans l'autre relève d'un funambulisme qui le met doublement en danger.