L'exception américaine est éternelle

 

Magazine Challenges | 08.05.2008 | Réagir à cet article

 

Les candidats à la présidence ont beau prôner le changement, ils prêchent tous un patriotisme spécifique aux Etats-Unis.

 

Tous les pays sont exceptionnels. Mais les Etats-Unis se considèrent volontiers comme exceptionnellement exceptionnels, différents de tous les autres pays développés par leur organisation sociale et par leurs valeurs fondamentales. L'Etat y est moins étendu qu'ailleurs, et la distribution des richesses, plus inégalitaire. Les Etats-Unis sont aussi plus fortement engagés envers ce que Margaret Thatcher appelait les «valeurs victoriennes» l'individualisme, le volontarisme, le patriotisme.

 

Le gouvernement Bush, qui soutient les valeurs conservatrices à l'intérieur, et affiche une confiance en soi illimitée à l'extérieur, est donc le plus «exceptionnel» qu'on ait connu dans les années récentes. Mais avec la fi n de son mandat, les Etats-Unis n'entrent-ils pas dans un nouveau cycle, caractérisé par le rejet du conservatisme et une convergence avec les normes de l'Europe ?

 

En réalité, les trois quarts des Américains estiment que le pays va dans la mauvaise direction, et soutiennent par exemple vigoureusement l'instauration d'un système de santé universel. Hillary Clinton comme Barack Obama ont promis de s'y attaquer. Ils sont aussi désireux d'améliorer leur image dans le monde. Le prochain gouvernement mettra nécessairement en chantier des réformes significatives, comme la fermeture de Guantanamo, ou l'adoption d'une politique environnementale plus rigoureuse, afin de gommer certains aspects aberrants du pays.

 

Pourtant, au vu de la campagne présidentielle en cours, l'exception américaine paraît toujours aussi forte. ailleurs qu'en Amérique des primaires se déroulent-elles pendant plus d'un an ? des candidats reçoivent-ils des dizaines de millions de dollars par mois de leurs supporteurs ? les fantassins du parti ont-ils l'opportunité de choisir le candidat au poste suprême ? John McCain a obtenu la nomination de son parti en dépit d'une forte opposition interne. Barack Obama est le chef de file d'un soulève ment contre la vieille garde démocrate.

 

Tous les trois prêchent un type de patriotisme spécifique aux Etats-Unis. John McCain vante ses états de service au Vietnam. Barack Obama prétend qu'il n'y a pas d'Amérique bleue ou rouge, mais une seule Amérique unie par des valeurs communes. Les trois candidats ont des envolées lyriques pour parler du rêve américain. Surtout, ils n'hésiteront pas à utiliser la manière forte. John McCain chante «Bomb, bomb Iran».

 

Barack Obama parle d'autoriser une mission au Pakistan sans l'aval du gouvernement en place. Hillary Clinton a déclaré cette semaine que, si elle était élue, elle n'hésiterait pas à «rayer» l'Iran de la carte s'il utilisait des armes nucléaires contre Israël.

 

Certes, une victoire démocrate en novembre ouvrirait sans doute la porte à une Amérique plus à gauche. Mais ce serait une sorte de gauche américaine, certainement pas calquée sur l'Europe. Les deux candidats ont rejeté le régime de «payeur unique» pour l'assurance-maladie, propre aux modèles européen et canadien. Le changement à venir n'est pas la fin de l'exception américaine, mais la fin du triomphalisme américain. Même Bill Clinton vantait l'Amérique, «nation indispensable», un pays qui voyait plus loin que ses rivaux. L'humeur est très différente aujourd'hui.