TAFTA: refus du Sénat de l’arbitrage privé en cas
de litige Etat/investisseur
Négociation des accords commerciaux transatlantiques
5 février 2015,
par Céline Tabou
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Les sénateurs ont adopté, mardi 3 février, à l’unanimité le projet de résolution sur le mécanisme de règlement des conflits entre l’Etat et les investisseurs étrangers prévus par les accords transatlantiques TAFTA.
Les deux accords transatlantiques, l’un avec les Etats-Unis et l’autre avec le Canada, prévoient un mécanisme juridique des différends entre les entreprises et les États. Ainsi, des entreprises qui estiment qu’une décision prise par un Etat lui porte préjudice, peut porter plainte contre un Etat devant une cour privée.
Un dispositif très contesté
Ce dispositif est très critiqué par des élus et associatifs. Selon le Collectif Non TAFTA/TTIP (Trans Atlantic Free Trade agreement/ Transatlantic Trade and Investment Partnership), « cette instance arbitrale disposerait du pouvoir d’invalider des réglementations sur le seul motif qu’elles constituent des atteintes au libre commerce, mais aussi de faire payer des amendes directement prélevées sur le trésor public des Etats ».
Le collectif précise que le mécanisme « constituerait une atteinte insupportable à la souveraineté des peuples et à la démocratie ». Face à ce mécanisme d’arbitrage présentant de nombreux « dangers inhérents », le sénateur communiste Michel Billout (groupe CRC) et plusieurs de ses collègues, dont Paul Vergès, ont présenté une proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis.
Cette proposition, adoptée à l’unanimité, propose au gouvernement d’envisager avec les États-Unis, un système interétatique de règlement des différends investisseur/État dans le partenariat transatlantique en cours de négociation, mais également de garantir juridiquement le droit des États à réglementer sans limite.
Le texte souhaite aussi modifier la procédure arbitrale, afin d’assurer la pleine transparence des débats et la publicité des actes, l’indépendance et l’impartialité des arbitres et la mise en place d’un mécanisme d’appel devant un tribunal indépendant.
Enfin les sénateurs ont convié le Gouvernement à envisager le recours à un mécanisme de règlement interétatique des différends en matière d’investissements, voire renoncer à tout mécanisme de règlement des différends en matière d’investissements avec le Canada.
Unanimité contre ce mécanisme
Michel Billoud, auteur de la résolution, a expliqué au site d’information Public Sénat, que « l’Etat risque d’être sanctionné en cas de décisions d’ordre sanitaire, social et environnemental », ce qui lui « paraît relativement insupportable ». Pour Yannick Jadot, député européen pour Europe Ecologie Les Verts (EELV), ce mécanisme est « extrêmement dangereux ».
Dangereux car, si l’accord entre l’Union européenne et les Etats-Unis est mit en vigueur, « des sociétés américaines pourraient attaquer la France parce qu’elle a interdit les cultures d’OGM, ou qu’elle a déclaré un moratoire sur les gaz de schiste, ou qu’elle a interdit le bisphénol A », a indiqué ce dernier.
De son côté, le sénateur UMP, André Reichardt, et vice-président de la commission des affaires européennes, a assuré que « le risque, c’est que cette médiation se fasse au détriment des Etats, et qu’ils soient amenés à payer des sommes astronomiques à des investisseurs étrangers ».
Par exemple, des entreprises européennes ont poursuivi l’Egypte contre l’augmentation du salaire minimum, ou contre la limitation des émissions toxiques au Pérou. Le géant de la cigarette Philip Morris a porté plainte contre l’Australie et l’Uruguay devant un tribunal spécial suite à des législations anti-tabac jugées trop contraignantes.
Améliorer le dispositif ou le supprimer
Face à de tels dangers, les sénateurs sont partagés entre la suppression totale de l’arbitrage privé et l’amélioration du dispositif, via des garanties de transparence sur l’impartialité des arbitres et l’instauration d’une juridiction d’appel. Ainsi, le système d’arbitrage deviendra « aussi encadré que la justice dans nos pays », a expliqué Michel Billout, qui propose « une forme d’arbitrage d’Etat à Etat comme au sein de l’Organisation Mondiale du Commerce », ou encore de revenir « aux juridictions nationales avec une juridiction d’appel internationale ».
Le député européen, Yannick Jadot, veut la suppression « pure et simple » de l’arbitrage privé. « On n’améliore pas un système mauvais par principe », a-t-il déclaré, car « on a des systèmes judiciaires suffisamment développés pour traiter des conflits commerciaux ». Ce dernier a dénoncé l’existence d’une « juridiction privée » pour arbitrer ce type de conflits.
Pour lui, il s’agit d’une justice d’exception, qui va « au-dessus des juridictions publiques », et dans laquelle le règlement des conflits d’intérêts « se fait au détriment de l’intérêt général ». Le sénateur écologiste a assuré que ce texte était « un transfert inacceptable de souveraineté démocratique des citoyens vers les firmes multinationales ». De son côté, le secrétaire d’Etat au commerce extérieur, Matthias Fekl, souhaite la réouverture des négociations sur l’accord entre l’Union européenne et le Canada, prises fin en septembre dernier.