Le pari diplomatique d’Obama
Jean-Marie
Colombani
2
Juin 2014
Chaque semaine,
Jean-Marie-Colombani, cofondateur
et directeur de Slate.fr, exprime
de manière libre et
subjective son point de vue sur
les temps forts de l’actualité.
Le
6 juin, jour anniversaire
du Débarquement, seront réunis en Normandie les chefs d’Etat des pays alliés et la chancelière d’Allemagne. Sa présence même nous rappelle que, malgré les europhobes, la réalité est bien que
l’Europe c’est la paix ! Contrairement aux vœux américains, le président français y a invité Vladimir Poutine (avec lequel il doit
s’entretenir de l’Ukraine),
au nom du rôle joué par l’URSS dans la défaite du nazisme.
Pour
Barack Obama, c’est l’occasion
d’un nouveau plaidoyer pour la diplomatie
qu’il conduit et qu’il a explicitée quelques jours auparavant, devant une promotion de cadets de
l’académie militaire de
West Point. Diplomatie fortement
critiquée à l’intérieur et
à l’extérieur des Etats-Unis
et qui, telle qu’elle a été exposée, peut
être résumée ainsi : ni-ni ! Ni interventionnisme, ni isolationnisme. Aux Etats-Unis,
on lui reproche de ne pas être suffisamment isolationniste, du moins dans une partie
de l’opinion ; hors des Etats-Unis,
c’est le refus d’intervenir qui peut poser problème.
Bien
que n’étant plus soumis à réélection et donc normalement détaché de toute contrainte électorale, Barack
Obama pense principalement
en termes de politique intérieure. Il a été élu pour mettre fin à deux guerres. Son premier mandat a vu le retrait des
troupes américaines d’Irak.
Son second mandat verra le retrait complet des troupes américaines d’Afghanistan. Personne ne saurait reprocher au président américain d’avoir tenu ses engagements. Il en a tiré toutefois un autre axiome, qui explique une bonne
part de son attentisme ou
de sa prudence sur les sujets les plus brûlants, hier la Libye, plus encore aujourd’hui la Syrie : «certaines de nos erreurs les plus coûteuses ne viennent pas de notre prudence, mais de notre précipitation
dans des aventures militaires.»
Pour
autant, a-t-il répété, «l’isolationnisme n’est pas une option». Et le président américain d’expliquer que la question n’est pas de savoir si les Etats-Unis doivent continuer à
assumer leur leadership, mais
plutôt de faire évoluer la manière de l’exercer. Il avait déjà évoqué, à l’occasion des opérations franco-britanniques contre la Libye de Kadhafi, la notion d’un
«leadership from behind». C’est-à-dire le second
plan, qui ne renonce pas à agir,
mais laisse prioritairement en première ligne
les pays localement les plus concernés.
C’est ainsi que les Etats-Unis soutiennent les efforts de la France au Mali et au Sahel. C’est ainsi également
qu’ils encouragent les pays
d’Asie et d’Asie du Sud-Est à se prémunir contre les appétits chinois ou qu’ils
aident financièrement les autorités de Kiev. Barack Obama a proposé
d’aller plus loin dans cette stratégie, puisqu’il a demandé au Congrès de lui accorder cinq milliards de dollars pour aider les pays qui font face
en première ligne au terrorisme
ou, à l’intérieur de l’opposition syrienne, les forces
laïques et démocratiques.
Cette vision cohérente
et sophistiquée n’exclut
pas un constat plus difficile
: le refus d’intervenir à
temps en Syrie. Il a rendu incontournable Bachar al-Assad et
a sans doute encouragé
Vladimir Poutine à pousser
son avantage en Ukraine en se saisissant
de la Crimée, après avoir
fait l’analyse que la réaction américaine serait plus rhétorique que pratique. La Chine ? Le
nouveau président chinois pousse aussi ses
pions et va jusqu’à nouer un partenariat stratégique avec la Russie. Le Proche-Orient ? L’immobilisme de Benyamin Netanyahou
n’a été à aucun moment contrarié. Reste l’Iran où
il y a l’espoir de voir aboutir une
véritable négociation. Restent surtout deux ans de mandat
pour mesurer la capacité de
Barack Obama à accepter l’idée, selon
la formule consacrée, que «l’indifférence peut être parfois
plus dangereuse que l’ingérence».