L'éditoRIAL
THIERRY MEYER, RÉDACTEUR EN
CHEF | 05.11.2008 | 09:52
Un homme, un destin, un monde. Rarement, depuis la fin de la Deuxième
guerre mondiale, l’élection
démocratique d’un dirigeant
n’aura concentré autant qu’en ce
4 novembre 2008 ces trois paramètres. L’accession de Barack Obama à la Maison-Blanche
est un condensé exceptionnel de symboles, d’espoirs, de renouveau, comme l’Histoire sait parfois en produire.
Cette élection est historique, elle est extraordinaire, mais elle n’est
pas étonnante. L’Amérique était prête, tout y était réuni pour que tombe la barrière
raciale, pour que s’effondre le mirage néo-conservateur,
pour qu’une page se tourne
et une autre, encore vierge, s’écrive.
Il y a bien sûr ces huit
ans de Bush, l’usure d’un pouvoir diviseur, la fatigue des
faux-semblants, des mensonges
et des gesticulations. La fin d’un cycle économique, politique et stratégique associé, à tort ou à raison, au maelström financier des derniers mois. La vacuité de l’isolement, des rodomontades et des croisades.
Les Etats-Unis n’en pouvaient plus d’un pouvoir affaibli par sa propre médiocrité. Les républicains paient cher cette dette
d’intelligence, et ils ne doivent qu’à leur
seul représentant possible
en pareilles circonstances
(d’une dignité remarquable dans la défaite) de n’avoir pas pris une raclée
plus formidable encore. Leur désert
politique s’annonce plus aride que celui
d’Irak.
Il y a aussi, par miroir, ce désir
presque immatériel de changement, de régénération du pouvoir, un pouvoir porteur de possibles plutôt que d’interdits,
de rassemblement plutôt que de division, de projets plutôt que de démantèlement.
Dans le fond, les différences
entre les programmes de McCain et d’Obama
sont sans doute moindres que celles,
pour prendre un exemple qui
nous est proche, qui séparaient Ségolène Royal de
Nicolas Sarkozy. Les contours de la politique d’Obama, qui a presque davantage produit d’autobiographies que de textes de loi, restent flous. Au risque de faire hurler les puristes,
il faut dire haut et fort que l’essentiel n’est pas là. Barack Obama incarne le leadership qu’attend l’Amérique – et une grande partie du monde avec elle. Beaucoup de pragmatisme, quelques valeurs essentielles, mais d’abord un style, une façon de faire et d’être qui est une invite plutôt qu’une menace.
Il y a, enfin, surtout, cette Amérique qui a reconnu en ce longiligne quadragénaire
aux origines noires et
blanches le meilleur d’elle-même.
L’incarnation de son rêve
permanent, de sa vertu primordiale, fondatrice : un optimisme et une confiance dans sa destinée. L’arrivée
aujourd’hui du premier homme
de couleur au sommet du pouvoir de la seule superpuissance planétaire témoigne de la logique de ce pays et de son évolution. Une fois encore, l’Amérique était prête. La présence des minorités ethniques dans les arcanes du pouvoir politique, des milieux économiques, des médias, du sport et des loisirs est bien plus massive et affirmée que dans
les pays européens. Les émeutes
raciales, les expressions du racisme
y ont sans doute été plus virulentes, plus caricaturales aussi. Contradictoire ? Non, parce que cette
réalité reflète à merveille deux fondements américains profonds, qui diffèrent de l’acception européenne : la liberté et l’identité.
La liberté est celle qui a permis à la fois l’esclavagisme et son éradication
; l’affirmation des droits civiques et l’existence du Klu Klux Klan ; la multiplicité
des «success stories», des «self-made men», et l’absence
de couverture sociale étatique. Elle restera, quel que soit
celui qui est au sommet du pouvoir américain, au cœur de la psyché du pays. L’identité américaine est déclamatoire, elle est une affirmation de soi, une définition
personnelle ; elle n’est pas le produit de l’histoire, des clans, des générations.
Est Américain qui le veut.
C’est ainsi, tous
éléments confondus, que, finalement, la question raciale a fini par s’effacer – un sondage de CNN à
la sortie des urnes indiquait
clairement que la couleur de la peau des deux candidats n’avait joué qu’un
rôle marginal dans le vote.
L’Amérique a choisi son meilleur représentant, celui en qui elle se reconnaît.
Après l’attente, les
attentes. Elles sont parfois, souvent,
démesurées, aux Etats-Unis comme dans le monde entier. Barack Obama est-il condamné à décevoir ? Pour qui croit aujourd’hui aux chimères, bien sûr. Pour les autres, pas sûr. Pas encore. En deux ans de campagne, Obama a fait
tout juste. Son mérite est immense. Il a su déjouer tous les pièges, négocier toutes les étapes avec une maestria époustouflante.
Au lendemain de son élection,
il empoche bien davantage que le bénéfice du doute : un capital de sympathie
et de confiance à la mesure
de sa large victoire. Et
d’un mot qu’il a ravivé à la face du monde: le progrès.